Enfant ramassant des cailloux sur un tronc.

Tous enthousiastes ! – André Stern – L’attachement, socle de l’autonomie et du leadership

Le port d’attache

Prenant le contre-pied d’une opinion et d’une méthodologie encore largement répandues dans nos contrées, la théorie de l’attachement démontre que ce n’est pas en coupant le cordon que l’on stimule l’autonomie. Cette dernière, loin d’être stimulée, en est plutôt entravée lorsqu’on laisse l’enfant seul dans un lit séparé, pleurer jusqu’à ce qu’il s’endorme ou lorsque l’on pratique tout ce qui l’oblige à « quitter le nid » ou « les jupes de sa mère ». Aussi étonnant que cela puisse paraître, plus on donnera d’attachement à un enfant, plus il deviendra autonome. De lui-même et sincèrement.

Chez tous les peuples dits « primitifs », les enfants ne sont jamais posés au sol avant de savoir marcher. Ils restent en contact avec le corps d’un autre membre de la tribu, de jour comme de nuit. En revanche, dès qu’ils savent marcher, ces enfants s’avèrent être parfaitement autonomes.

Pour le neurobiologiste Gerald Hüther, ce phénomène est facile à expliquer, car il repose sur deux expériences primordiales et conjointes (alors qu’elles auraient tendance à nous paraître incompatibles) faites par le bébé in utero : celle du lien et celle de l’autonomie. Pendant neuf mois, plongés dans un monde homogène (pas de binarité entre chaud et froid, par exemple), nous vivons le plus profond des liens possibles avec une autre personne, notre mère, tout en constatant que cet attachement nous permet de grandir – donc de devenir, chaque jour, plus autonomes.

Ce n’est pas la rupture, mais bien l’attachement qui constitue le facteur d’autonomie numéro un.

Tant de parents s’échinent à ne rien négliger de ce qui fera d’eux de bons parents. Ils n’hésitent devant aucun effort afin de ne rien laisser passer de ce qu’il « faut faire » pour que l’avenir de leurs enfants soit assuré, que ces derniers soient heureux, autonomes, épanouis, cultivés, sûrs d’eux et capables de « s’en sortir » dans un monde difficile. Tant de parents s’imposent ce stress et cette inquiétude, alors que ce qui assurerait tout cela est tellement plus simple…

Il leur suffirait d’être pour leurs enfants ce port d’attache que nous recherchons, tous, depuis notre naissance. Le port d’attache est l’endroit – non géographique – où il est considéré comme « bien » d’être comme tu es. Tu n’as ni à changer, ni à devenir un autre, ni à correspondre aux attentes d’autrui, ni à faire d’effort. C’est l’endroit où tu n’es ni jugé, ni mis en danger, ni mis à l’épreuve – cette manie de toujours poser des colles aux enfants pour leur montrer qu’il y a plein de choses qu’ils ne savent pas, tandis que nous, nous les savons ! – ni « attendu au tournant » …

Lorsqu’il ressent ce port d’attache, l’enfant a tout ce qu’il lui faut pour aller, sans hésitation ni crainte, à la découverte du vaste monde, à la rencontre de cette diversité dont il sait qu’elle garantit l’enrichissement réciproque. Il restera comme immunisé face à toutes les gorgones grimaçantes qu’il ne manquera pas de rencontrer sur son chemin, face à toutes leurs tentatives de le déstabiliser. Comme Antonin, en cette folle soirée de mariage, où il courait partout, riait, jouait, dansait avec tous les enfants, toute la noce, vivant parfois des situations conflictuelles ou inconnues… et revenait, de temps en temps, s’asseoir quelques minutes sur mes genoux, se reposer, faire le plein au port d’attache avant de sauter sur ses jambes, rasséréné, et de retourner faire la fête.

Lorsque nous avons donné ce port d’attache à nos enfants, nous avons, finalement, fait ce qu’il y avait de plus important à faire en tant que parents. Tout le reste vient en bonus. La suite de l’histoire leur appartient, ce sont eux qui l’écrivent.

Nous redoutons toujours la précarité matérielle pour nos enfants. Alors que le vrai danger vient de la précarité affective.

Lorsque l’on demande à mon père, Arno Stern, s’il a eu une enfance heureuse, il répond « oui » sans hésitation. Alors que cette enfance a eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale, traversant des circonstances épouvantables, une fuite, une persécution et une menace incessantes, un danger permanent, une absence de sécurité et de quiétude matérielles complètes. La raison de son sentiment de bonheur ? Le profond attachement vécu entre lui et ses parents. Le port d’attache en plein milieu de la tempête.

Je suis heureux de vous offrir la contribution suivante, écrite par mon père Arno Stern.

 

Jouer et faire jouer par Arno Stern

Tout comme Newton créa un instrument et découvrit une science, mon père est à la fois le découvreur d’un nouveau domaine scientifique et l’inventeur de l’outil dans lequel on peut le voir apparaître. Et tout comme la découverte des lois de la gravité, conjointe à l’invention du télescope, a modifié de façon profonde notre compréhension de l’univers, la mise au point du Closlieu et la découverte de la Formulation par Arno Stern modifient complètement notre manière d’aborder l’éducation et, plus largement, l’enfance.

Je ne suis pas entré dans une carrière existante. Je n’ai pas pris place avec un diplôme assurant une compétence balisée par d’autres. Rien n’existait. Tout était à créer. J’étais là, les mains nues, les yeux grands ouverts sur un monde inexploré. Je vais raconter cette aventure. Elle n’est pas achevée, mais je vais dire comment elle a commencé : c’était en 1946. Un télégramme répondait à un ami de mes parents, peu de temps après notre retour en France libérée : “Envoyez jeune homme, signé Job” (administrateur général de l’Œuvre de secours aux enfants). C’était le télégramme de mon destin.

Nous avons été des réfugiés, des apatrides, des gens menacés, douze années durant, fuyant, nous établissant, abandonnant ce qui constituait et reconstituait les biens de la vie quotidienne, pour survivre ailleurs jusqu’à une nouvelle menace. J’allais aux cours de “dessin d’ornement” deux soirs par semaine à l’École d’arts appliqués à Valence, parmi quelques jeunes filles de la bonne société et quelques garçons qui se destinaient à l’art. Savais-je si, sur le chemin du retour, un gendarme en faction, ou en patrouille, aurait l’ordre ou l’impulsion de m’arrêter ? Cela n’était pas exclu, mais je n’y songeais pas. Et même lorsque, avec mon père, je prenais le bac pour traverser le Rhône, un contrôle aurait été possible et notre arrestation n’aurait eu d’autre justification que notre identité de réfugiés apatrides.

Le soir, dans notre petit logis meublé, dans le vieux quartier arménien, pendant des semaines, j’étais occupé à confectionner pour Renée une maison de poupée en carton, avec son mobilier et tous ses objets : des armoires pleines de petites piles de linges, des buffets où s’empilait la vaisselle, des fenêtres articulées et dotées de rideaux… et chaque objet confectionné avec tant de soin, s’ajoutant aux précédents, m’enthousiasmait, comme si la vie n’était faite que de ces réalisations. Chaque objet ajoutait son pesant de plaisir. Et j’ai réalisé aussi un train de marchandises pour le frère de la petite fille, afin de leur offrir ces jouets le soir de Noël.

Mes parents me regardaient travailler et ils partageaient mon enthousiasme, eux qui étaient rongés par le souci de la survie. Le train, avec ses wagons à portes coulissantes, et la maison richement dotée ont atteint leurs destinataires, avant notre fuite, alors que bien des choses, rassemblées au cours de deux années de vie, sont restées entre les mains du policier qui est venu, une nuit, pour nous arrêter et nous faire déporter vers les chambres à gaz, et qui a poussé son zèle jusqu’à habiter là, dans l’espoir de notre imprudent retour. Il a fait mettre à la décharge le contenu de notre logement, dont la collection de coléoptères que nous avions faite pour le Musée de la ville.

Nous avons donc échappé à ce prédateur aussi, comme à beaucoup d’autres. Et quelques mois plus tard, nous avons même été préservés du refoulement systématique des persécutés qui se présentaient à la frontière suisse.

Interné pendant les trois années restantes de la guerre dans un camp de travail, je suis passé de l’enfance à l’âge adulte, dispensé d’études, mais vivant des rencontres passionnantes. Ma première scolarité, interrompue à l’âge de neuf ans, avait été suivie d’une autre, la première en Allemagne, la seconde en France ; j’oscillais entre deux langues, entre deux cultures ; et les années passées en Suisse ont ranimé ma langue maternelle laissée à l’abandon, enrichie alors par des rencontres inhabituelles. La vie d’interné – mon quotidien durant trois années –, cernée par des prescriptions administratives, était faite de beaucoup d’interdits et, occasionnellement, de révélations insolites.

Les travaux forcés dans les champs n’empêchaient pas la fréquentation de la musique, la découverte de la poésie allemande, les émotions artistiques, grâce à quelques livres, la visite du musée le dimanche et la pratique, avec des moyens précaires, du dessin, avant le coucher sur la paillasse dans la baraque, parmi les autres internés. Et puis une opportunité s’est produite : j’ai confectionné, avec des cartons de récupération, une fête foraine aussi riche que la maison de poupée de Valence. Elle fut exposée à Genève et primée, pour la fierté de la direction du camp.

Cela m’inspira une méthode originale de découpages qu’un éditeur publia, après mon retour en France, et qui servit de motivation, avec ma réputation de jeune artiste, pour être engagé dans un foyer pour orphelins de guerre.

Tout cela constitue un enchaînement parfaitement articulé et indique les fondements de mon activité : les soixante-dix années suivantes de ma vie de Servant du Jeu de Peindre.

Lorsque j’arrivai à Fontenay-aux-Roses, dans la maison où étaient réunis des enfants entre six et quinze ans, survivants des rafles – rafles qui envoyaient leurs parents dans les chambres à gaz – et qui avaient eu la chance d’être cachés dans des couvents ou chez des paysans, on me chargea de les occuper entre l’heure des repas et le coucher. Mon engagement reposait sur une erreur caractéristique : un jeune musicien était employé pour les initier à la musique et moi, jeune artiste présumé, je devais leur enseigner l’Art. Dans la France pillée par l’occupant, il n’y avait pas grand-chose. Je trouvai du papier de récupération et des bouts de crayons, et ce qu’ils en faisaient m’apprit d’emblée que je n’avais rien à leur enseigner – seulement à leur fournir les outils pour un jeu qui se déroulait naturellement et qui faisait plaisir.

Très vite, après la Libération, de la peinture fut fabriquée. J’en achetais dans des pots en verre et je mettais des gouaches à la disposition des enfants. Cela déclencha un séisme. On m’avait donné une table et des bancs ; les enfants étaient assis et ils trempaient les pinceaux dans des récipients alignés devant eux. Leurs feuilles étaient à peine plus grandes que celles fournies précédemment pour le dessin et elles étaient étroitement serrées sur le plateau. Un enfant me demanda une feuille plus grande. Je la lui installai sur le mur. Tous voulurent des feuilles plus grandes. La table était devenue inutile. J’appliquai même des planches sur les fenêtres pour gagner de la place sur le mur.

Ce qui se passa alors était inimaginable. J’assistais à ces éruptions, partageant l’enthousiasme de ces enfants, et cela m’enivrait. Je vivais cette effusion sans commune mesure avec mes propres essors créatifs et cet élan contamina toute la maison. Les enfants ne voulaient plus rien faire d’autre. Les tableaux croissaient et finirent par pousser du sol jusqu’au plafond.

Je quittai la Maison d’enfants avec ce seul désir : poursuivre cette tâche. En 1948, j’ouvris l’Académie du Jeudi, le premier atelier de peinture pour enfants de six à quinze ans ; et quelques années plus tard, je déménageai pour installer mon Académie du Jeudi dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés.

Sur le modèle du lieu que, pour des raisons pratiques, j’avais aménagé dans la Maison d’enfants, j’avais créé le Closlieu. 150 enfants venaient y jouer chaque semaine. Soixante années après, lorsque l’un d’eux m’interpelle dans la rue, il me dit que ce furent les plus belles heures de son enfance.

Dans ce lieu de quiétude et de permanence se manifestait une Trace sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Je ne le savais pas, alors – je ne l’ai su que plus tard. Grâce à mon ingénuité et à l’absence de tout préjugé, j’ai été le témoin de ce que j’ai appelé « la Formulation ». Je la découvrais, jour après jour, assistant à cette émergence dont je comprenais les mécanismes, dont je découvrais l’origine. Nul avant moi ne l’avait décelée. L’aménagement sans précédent du Closlieu me permettait d’apercevoir, comme dans un verre grossissant, le secret d’un code qui permet de comprendre la nature de la Trace et son fonctionnement dans les moindres détails.

Adonné à ce rôle de trouveur, je vivais dans l’exaltation et je mesurais – sans m’en enorgueillir – l’extraordinaire de mon ouvrage. J’ai su que tous les événements de ma vie – le miracle, tant de fois réitéré, de la survie – m’ont prédestiné à être ce trouveur. Le plaisir des enfants était cette émanation qui, hors de toute réflexion, de toute spéculation, se produisait chez chacun ; et chaque personne était consciente de créer son propre monde et de le vivre au milieu des autres.

Tout découvreur connaît sans doute ce plaisir. Mais ces rencontres se font généralement dans un domaine connu. J’étais le premier à voir la Formulation, à révéler qu’elle est un code universel. Je menais une vie quasi monastique, totalement consacrée à cette découverte. J’avais, des moments durant, le sentiment d’être seul dans un monde totalement inconnu. Et cela éclairait ma vie. Ce n’est qu’aujourd’hui, des décennies plus tard, que je sais mesurer mon exaltation d’alors. Mon destin : douze années de vie incertaine, un quotidien marqué par la menace, le sentiment d’être conduit au travers de tous les pièges et d’échapper à ceux dont l’objectif était de me capturer, de me détruire. Cela rend capable d’apprécier la vie ; cela rend humble aussi. Nul ne m’a fêté et je n’ai pas attendu d’honneurs. Ce qui générait mon enthousiasme quotidien n’était tributaire d’aucune appréciation et n’avait besoin d’aucun écho.

À 93 ans, mon travail est frais comme une interminable aventure. Lorsqu’on me demande : “Que promettez-vous à ceux que vous accueillez dans le Closlieu pour le Jeu de Peindre ?”, je réponds : “Du plaisir !” Je partage le plaisir de chacun.

Nous redoutons toujours la précarité matérielle pour nos enfants. Alors que le vrai danger vient de la précarité affective.

 🌟 Et si l’enthousiasme était la clé de tout ? Dans ce livre lumineux, André Stern explore l’enthousiasme, ce moteur inné que nous portons tous en nous depuis la naissance. Contrairement à une vision figée de l’intelligence dictée par les gènes, l’auteur met en lumière le rôle transformateur de l’épigénétique et de nos expériences. Le cerveau humain, explique-t-il, ne se développe pas comme un muscle, mais grâce à une stimulation émotionnelle intense – autrement dit, par l’enthousiasme.

Dès l’enfance, ce feu sacré s’active à chaque découverte. Un enfant n’a pas besoin d’apprendre la tolérance ou d’être forcé à travailler : il s’enthousiasme naturellement pour ce qui l’entoure, des chiffres d’une plaque d’immatriculation aux lettres sur un panneau. Ce cocktail d’émotions génère des substances neuroplastiques qui renforcent les réseaux neuronaux. L’enthousiasme n’est pas un luxe réservé à l’enfance. À 85 ans, vous pourriez apprendre le chinois en six mois… si vous étiez passionné !

Stern déconstruit également l’idée que l’autonomie résulte de la séparation. En réalité, un attachement profond à une figure aimante nourrit la confiance nécessaire pour explorer le monde. Jouer, pour un enfant, n’est pas une distraction : c’est une immersion totale dans un monde où imaginaire et réalité se confondent, libérant une créativité illimitée.

Enfin, ce livre rappelle que nous ne perdons jamais notre capacité à être enthousiastes. Nous avons simplement oublié de l’entretenir. Stern nous invite à redécouvrir ce trésor, à transformer notre quotidien et à retrouver l’émerveillement dans chaque petite chose. ❤️

Un livre à lire absolument pour réveiller l’enfant curieux et joyeux en chacun de nous !

Vous trouverez ce livre sur le site Place des Libraires en identifiant une librairie près de chez vous, ou sur le site de la FNAC.

Les extraits que je vous partage sont ceux qui m’ont parlé lors de la lecture du livre.

Aussi, je vous encourage à acheter ce livre car vous y trouverez sûrement d’autres parties qui vous inspireront.

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