Partie VIII – Devenir un leader
Chapitre 25 – Douzième étape
On dirait que nous sommes mal partis. En tant qu’animaux faits pour la coopération et aspirant à la confiance, nous sommes trop nombreux à travailler dans des contextes qui nous poussent à donner le pire de nous-mêmes. Nous sommes devenus cyniques, paranoïaques, égoïstes et vulnérables à la toxicomanie. Notre santé et, pis, notre humanité sont en danger. Mais nous ne pouvons nous cacher derrière des prétextes. Impossible d’incriminer les médias, l’internet ou « le système ». Impossible d’incriminer encore « les entreprises », la Bourse ou même le gouvernement. Nous ne sommes pas les victimes de notre situation : nous en sommes les architectes.
Mais ce ne sont pas les dangers extérieurs qui provoqueront notre déchéance. Il y en a toujours eu et ils ne disparaîtront jamais. En général, les civilisations meurent par suicide, non par assassinat, comme disait le grand historien britannique Arnold Toynbee. Ce qui nous menace le plus est la montée des risques à l’intérieur de nos organisations. Heureusement, ils sont largement maîtrisables.
Depuis plus de soixante-quinze ans, l’association Alcooliques anonymes (AA) aide efficacement des gens à surmonter l’addiction à la dopamine qu’est l’alcoolisme. Son programme de réhabilitation en douze étapes est bien connu, en particulier la première étape : admettre qu’on a un problème.
Admettons que la culture de nos organisations est trop souvent marquée par une addiction systémique à la performance et à la réalisation d’objectifs chiffrés. Comme toutes les addictions, celle-ci apporte de grandes satisfactions mais se paie souvent d’un prix élevé sur le plan médical et relationnel. Cette addiction est compliquée par la possibilité d’élever son statut uniquement grâce à l’argent ou à la célébrité en ignorant les exigences anthropologiques du rang d’alpha. Mais admettre l’addiction n’est que la première étape. Au-delà, comme chez les Alcooliques anonymes, commence le dur travail de sevrage. Il faut accomplir le travail et consentir les sacrifices requis pour modifier les systèmes qui nous dressent les uns contre les autres, et en bâtir de nouveaux qui nous incitent à l’entraide. Ce qu’il est impossible de faire seul.
« Tu veux savoir tout le secret des AA ? », m’a demandé Jon, un alcoolique en cours de traitement. « Tu veux savoir qui est vraiment sobre et qui ne l’est pas ? »
Parmi les adhérents des AA, très peu parviendront à la sobriété avant d’avoir bouclé la douzième étape. Ils auront beau avoir franchi avec succès les onze précédentes, ceux qui ne viennent pas à bout de celle-là risquent fort de boire à nouveau. Seuls surmontent l’addiction ceux qui accomplissent le stade numéro douze.
Cette douzième étape est l’engagement d’aider un autre alcoolique à vaincre la maladie. Elle est entièrement faite de service. Et le service est aussi la clé du sevrage des addictions à la dopamine dans les organisations. Je ne parle pas de servir les clients, les salariés ou les actionnaires. Je ne parle pas de personnes abstraites. Je parle d’un service aux êtres humains réels, vivants, tangibles, avec lesquels on travaille tous les jours.
Les AA ne se réunissent pas en ligne mais dans une salle paroissiale ou communale, et il y a une bonne raison à cela. C’est aussi pour une bonne raison que l’alcoolique désireux de joindre son parrain, un autre alcoolique qui s’est engagé à l’aider, ne lui adresse pas un courrier électronique mais l’appelle au téléphone : les contacts nécessaires pour vaincre la toxicomanie doivent être réels. Ils ne peuvent être virtuels.
Tout l’objectif des réunions des AA est de conférer aux gens un sentiment de sécurité. Ceux qui partagent le combat, qui se rassemblent pour aider et se faire aider, se montrent chaleureux et accueillants. Beaucoup prolongent les contacts bien au-delà de la fin des réunions. Comme me l’a dit Jon, les contacts qu’il a noués l’ont aidé à se sentir moins seul et les récits qu’il a entendus lui ont donné espoir.
« L’alcoolisme est comme une meute de loups menaçants, explique Jon. Si tu entres dans le programme et que tu restes dans le groupe, alors tu ne seras pas attaqué. Le groupe t’apportera la sécurité. » Autrement dit, les Alcooliques anonymes sont comme une famille, une tribu ou une patrouille. Ils sont comme les bœufs d’Ésope adossés l’un aux autres afin de se protéger mutuellement contre le lion. Ils forment un Cercle de sûreté parfait.
L’ocytocine avec nous
Affronter seul les menaces du monde est impossible, ou du moins pas très efficace. Il nous faut l’aide et le soutien des autres – d’autres qui croient en nous. De même que les entreprises droguées à la dopamine sont incapables de s’autoréguler, les toxicomanes qui tentent de s’en sortir eux-mêmes, en surveillant leurs propres progrès, sont d’ordinaire voués à l’échec. Les alcooliques qui réussissent n’agissent pas seulement pour eux. Ils le font aussi pour la personne qui leur consacre de son temps et de son énergie : leur parrain. Ainsi la sérotonine est-elle supposée fonctionner. Elle ne fait pas qu’élever notre statut, elle renforce les relations de bienveillance, de mentorat.
Et puis il y a l’ocytocine. Ces sentiments de confiance et d’amour, ces bouffées de bons sentiments, s’avèrent essentiels pour nous aider à surmonter l’addiction. Les premiers constats d’une étude menée en 2012 par les chercheurs du département de psychiatrie de l’University of North Carolina à Chapel Hill montrent que la présence d’ocytocine combat les symptômes de repli sur soi des alcooliques et des héroïnomanes. Il a été en fait constaté qu’une augmentation du niveau d’ocytocine peut même prévenir une dépendance physique. Il est clair qu’une saine dose d’ocytocine, due à des actes de service, de sacrifice et de générosité envers les autres, peut réellement réduire le risque de dépravation d’une culture d’entreprise.
Telle est la puissance de l’ocytocine que nos liens de confiance et d’affection ne nous aident pas seulement à vaincre ou éviter une addiction : ils nous permettent même de vivre plus vieux. Selon une autre étude de 2012, conduite celle-ci par le Duke University Medical Center, les couples vivent nettement plus vieux que les célibataires. Les personnes qui ne se sont jamais mariées risquent deux fois plus de mourir dans la force de l’âge que celles qui ont été mariées tout au long de leur vie adulte. D’autres études ont montré que les taux de cancers et de maladies cardiaques sont moins élevés chez les couples mariés. Des relations proches et confiantes ne nous protègent pas seulement à la maison, elles nous protègent aussi au travail.
Dans des cultures comme celle du corps des Marines, où les liens de confiance sont profonds, les « intangibles » – c’est le mot utilisé par les Marines – contribuent à maintenir la solidité du système et son haut niveau d’intégrité. Le risque d’addiction à la dopamine est bien moindre si la confiance et l’affection sont omniprésentes. Plus il y a d’ocytocine, plus les liens de confiance seront forts, plus les gens prendront de risques pour agir comme ils le doivent, plus ils veilleront les uns sur les autres et mieux le groupe fonctionnera en fin de compte. La force d’un Cercle de sûreté dépend de ceux qui vivent et travaillent en son sein.
Interrogez ceux qui ont réussi à se sortir d’une situation de repli – dépression, solitude, échec, licenciement, décès familial, rupture sentimentale, addiction, affaire judiciaire, agression, etc. Dans presque 100 % des cas, ils vous diront quelque chose du genre : «Je n’aurais pu y parvenir sans le soutien de … », suivi du nom d’un parent, d’un ami proche ou parfois d’un étranger bienveillant.
Songez-y : celui qui a été mal traité à bord d’un avion trouve un soulagement en prenant à témoin l’inconnu assis à côté de lui. Quiconque est le jouet des ambitions d’un patron tyrannique se réconforte auprès d’un collègue soumis aux mêmes avanies. Si l’un de nos parents souffre d’une maladie, nous nous sentons proches de la personne dont l’un des parents souffre de la même maladie. C’est vers le groupe de gens avec lesquels nous partageons un intérêt commun et une cause commune que nous nous tournons pour chercher un soutien.
Chaque fois qu’existe un lien humain – un lien humain vrai, authentique, honnête, dans lequel aucune des parties ne veut prendre quelque chose à l’autre – on trouve apparemment la force d’endurer, et la force d’aider. Avoir un partenaire sur qui s’appuyer permet de faire face à beaucoup de difficultés. Et non seulement on supporte mieux les écueils mais on gère plus aisément le stress et l’anxiété. La magie noire du cortisol est inopérante quand on a quelqu’un à ses côtés. Si des gens comme Johnny Bravo sont prêts à risquer leur vie pour celui qui se trouve à leur droite ou à leur gauche, c’est pour une seule raison : ils sont absolument certains qu’il en ferait autant pour eux.
Imagine un monde où la confiance règne, où chaque individu sait qu’il peut compter sur les autres, où la coopération n’est pas un vain mot mais une réalité palpable. C’est ce que ce livre nous invite à découvrir.
Dans un récit captivant, l’auteur nous plonge d’abord dans une nuit de combat en Afghanistan, où un pilote, Johnny Bravo, met sa vie en jeu pour protéger des soldats au sol. Pourquoi agit-il ainsi, sans y être obligé ? Parce qu’il sait qu’ils auraient fait la même chose pour lui. Ce sens du devoir, ancré dans l’empathie et le leadership, est au cœur de toute organisation qui fonctionne véritablement.
Puis, nous voici plongés dans l’univers d’une entreprise où les employés sont traités comme des numéros. Jusqu’au jour où un leader visionnaire, Bob Chapman, décide de tout changer. Plus de pointeuses, plus de barrières entre ouvriers et cadres, plus de méfiance. Résultat ? Une transformation spectaculaire où l’humain prend enfin la place qu’il mérite.
Le message est clair : nous sommes biologiquement programmés pour fonctionner en tribu, protégés par un Cercle de sûreté. Lorsque ce cercle existe, les salariés donnent le meilleur d’eux-mêmes, sans stress destructeur ni rivalité toxique. Les organisations qui l’ont compris prospèrent, tandis que les autres s’épuisent dans la peur et le contrôle.
Nous croyons parfois que la sécurité financière est plus importante que le bonheur au travail. Or, les études prouvent que le stress d’un mauvais emploi est plus nocif que le chômage. Être ignoré par son manager tue la motivation, alors qu’un simple mot d’encouragement peut tout changer.
L’auteur ne prône pas un idéalisme naïf : il s’appuie sur des faits, des chiffres et des exemples concrets. Il nous montre que les entreprises les plus performantes ne sont pas celles qui pressent leurs employés, mais celles qui les protègent. Que les grandes réussites ne viennent pas de la compétition acharnée, mais de la coopération et de la confiance mutuelle.
Dans un style fluide et percutant, ce livre bouleverse nos certitudes et nous pousse à voir le travail autrement. Que tu sois dirigeant, manager ou simple salarié, tu en ressortiras transformé. Prêt à bâtir une culture d’entreprise plus humaine, plus forte, et surtout plus pérenne. Car au final, nous ne travaillons pas pour une entreprise, mais pour les gens qui nous entourent.
Tu trouveras ce livre sur le site Place des Libraires en identifiant une librairie près de chez toi, ou sur le site de la FNAC.