Collaboration de groupe en réunion professionnelle.

Les vrais leaders se servent en dernier – Simon Sinek – Quand les chiffres remplacent l’humain : le piège de l’abstraction

Chapitre 14 – L’abstraction moderne

Les découvertes de Milgram en pratique

En 2009, le New York Times et la plupart des grands journaux rapportèrent qu’une intoxication par la salmonelle avait tué neuf personnes et rendu malades plus de sept cents autres. Il en résulta le plus grand rappel de produits alimentaires de l’histoire des États-Unis. L’enquête remonta jusqu’aux produits fabriqués par plus de trois cents entreprises à partir de cacahuètes et de dérivés de cacahuètes fournis par Peanut Corporation of America (PCA) à Lynchburg, en Virginie. Le patron de PCA avait-il fait tout ce qui était en son pouvoir pour veiller à la sécurité des gens qui faisaient confiance à son entreprise et à lui-même ? Hélas, non.

Les enquêteurs de la Food and Drug Administration (FDA) conclurent que PCA avait délibérément livré des produits contaminés (ce que l’entreprise conteste). Et tout indique que les dirigeants de l’entreprise avaient fait peser une pression énorme sur leurs salariés pour qu’ils atteignent leurs objectifs. Selon un document communiqué à la justice, Stewart Parnell, président de PCA, avait adressé à l’un de ses directeurs d’usine un courrier électronique dans lequel il déplorait que les tests positifs à la salmonelle « coûtaient très cher en causant un énorme décalage entre la date de réception des cacahuètes et l’envoi des factures ». (La société a disparu en 2009. Stewart Parnell a été condamné en 2015 à vingt-huit ans de prison.) Quand nos relations avec nos clients ou nos salariés deviennent des concepts abstraits, nous nous intéressons naturellement à la chose la plus tangible que nous puissions voir : les chiffres. Les dirigeants qui attachent plus d’importance aux nombres qu’aux vies sont, le plus souvent, séparés physiquement des gens qu’ils servent.

Laissons de côté M. Parnell. Que dire des gens qui travaillaient dans son entreprise et qui firent ce qu’on leur disait ? Dans une culture d’entreprise faible, les salariés perçoivent leur employeur comme les cobayes de Milgram voyaient les chercheurs : comme l’incarnation de l’autorité. Un leader qui préside à une culture faible se dispense d’investir dans des programmes destinés à renforcer la confiance de ses collaborateurs afin qu’ils agissent correctement. Il préfère une organisation controle-and-command (contrôle commande) qui perpétue un système dans lequel les gens feront uniquement ce qu’on leur demande. L’incertitude, les baronnies et les manœuvres de couloir – toutes favorisées par une culture de contrôle commande et antagonistes du concept de Cercle de sûreté – accroissent le stress et réduisent la capacité à nouer des relations, au point que l’autopréservation devient prioritaire.

Tout ce qui nous sépare des effets de nos paroles et de nos actes sur autrui risque de nous entraîner dans une voie dangereuse. Comme l’a montré Milgram, quand nous ne constatons pas les effets de nos décisions, quand la vie des autres devient une abstraction, 65 % d’entre nous seraient capables de tuer. Quand nous ne voyons ni entendons les gens que nous faisons souffrir, les moteurs principaux de nos décisions sont la peur d’avoir des ennuis, de perdre notre emploi, de ne pas réaliser nos objectifs ou de compromettre notre rang social. Et tout comme ces soldats allemands plaidant qu’ils « ne faisaient que suivre les ordres », ou comme ces sujets de Milgram marmonnant que « l’expérience doit continuer », nous avons des leitmotivs modernes pour nous défendre ou rejeter nos responsabilités quand nos décisions font du tort à autrui. Nous travaillons « pour dégager de la valeur pour l’actionnaire » ou « pour satisfaire à nos obligations fiduciaires » tout en assurant que nos actes « ne sortent pas du cadre légal » ou que les décisions ont été prises à un niveau supérieur.

Pendant que je préparais ce livre, il m’est arrivé de dîner en ville avec un banquier d’affaires. Fort de mes réflexions nouvelles, je l’ai poussé dans ses retranchements à propos de sa responsabilité envers les gens affectés par ses décisions. J’ai été stupéfait de voir à quel point son comportement reproduisait celui des volontaires de Milgram. « Ce genre de décisions ne m’appartient pas, me dit-il. Ce n’est pas mon rôle. Mon rôle est de trouver le meilleur placement pour mes clients. » Quand nous ne nous sentons pas à l’abri les uns des autres dans le contexte où nous travaillons, notre instinct nous conduit à nous protéger à tout prix au lieu de partager la responsabilité de nos actes.

En 2008, confrontés aux effets concrets des pratiques bancaires sur l’économie, certains banquiers ne se contentèrent pas de blâmer les sociétés de prêts hypothécaires. Comme les bourreaux de Milgram tentant de se distancier du rôle qu’ils avaient pu jouer dans les souffrances provoquées, ou même d’incriminer les étudiants, certains banquiers allèrent jusqu’à reprocher leurs problèmes aux acheteurs de logements américains. « Nous n’expulsons pas les gens qui méritent de rester dans leur maison », disait Jamie Dimon, directeur général de JPMorgan Chase, à ses actionnaires en 2010.

La responsabilité des entreprises

« L’entreprise n’a qu’une et une seule responsabilité », disait Milton Friedman en 1970, six ans avant de recevoir le prix Nobel d’économie « utiliser ses ressources et exercer des activités destinées à accroître ses profits tant qu’elle respecte les règles du jeu. » Par « règles », je suppose que Friedman désignait la loi, un ensemble de préceptes bien intentionnés mais imparfaits, pleins de trous accidentels ou parfois intentionnels, conçus par des gens bien intentionnés ou parfois calculateurs.

La formule de Friedman semble être devenue la norme du capitalisme contemporain. Les entreprises montrent régulièrement que, dans leur recherche du profit, le respect littéral de la loi leur semble préférable à toute responsabilité éventuelle envers leurs clients ou le pays et l’économie dans lesquels elles fonctionnent. Par analogie avec l’expérience de Milgram, trop de dirigeants d’entreprise préfèrent obéir aux chercheurs plutôt qu’à une autorité morale supérieure. Ils peuvent justifier leurs actions, car elles respectent la lettre de la loi, même si elles en ignorent l’esprit.

Apple Inc. a pu escamoter des dizaines de milliards de dollars d’impôts en installant des filiales en Irlande, où les entreprises sont imposées en fonction du lieu de leur siège social (Apple est une société américaine). Le code des impôts américain, au contraire, calcule les impôts d’une société en fonction du lieu où elle gagne ou conserve son argent (Apple déposait en Irlande tous ses bénéfices réalisés en Asie et en Europe). En exploitant les failles du droit fiscal des deux pays, Apple a pu conserver 74 milliards de dollars à l’abri du fisc américain ou étranger entre 2009 et 2012. Apple ne le nie pas. La technique imaginée par la société, l’une des plus innovantes de notre temps, consiste à faire remonter ses profits via des filiales irlandaises vers les Pays-Bas puis les Caraïbes pour échapper à la fiscalité américaine. Beaucoup d’autres entreprises l’ont copiée depuis lors. Pourtant, selon le raisonnement de Friedman, Apple n’a violé aucune règle.

Former des liens de confiance est pour nous un besoin absolu. Notre survie en dépend. À cette fin, notre cerveau primitif évalue continuellement les paroles et les comportements des entreprises exactement comme ceux d’un individu. Au niveau biologique, la confiance reste la confiance, quelle que soit l’autre partie. Si les paroles ou les actes de quelqu’un nous donnent l’impression qu’il n’est pas digne de foi, nous gardons nos distances. Se conformer simplement à la loi signifie qu’on pourrait se fier à un fiancé infidèle sous prétexte qu’il n’a enfreint aucune loi. Pour nous, animaux sociaux, la moralité compte aussi. Notre sens du bien ou du mal (ou le sens du bien et du mal d’une entreprise), quelle que soit la lettre de la loi, importe au niveau social. C’est le socle même de la société civile.

Entendu par le Congrès des États-Unis, Timothy Cook, directeur général d’Apple, a soulevé la question de la responsabilité. « Malheureusement, le code des impôts n’est pas à la hauteur de l’ère numérique », a-t-il déclaré. Est-ce aux pouvoirs publics de serrer tous les boulons ou bien les entreprises ont-elles aussi une part de responsabilité ? Apple commet-il un acte de désobéissance civile pour obliger le gouvernement à faire mieux ? Apple est une entreprise bonne qui fait des choses bonnes, comme ses dons en faveur de l’enseignement, mais la plupart des gens ne le savent pas et, lorsqu’ils entendent parler de son optimisation fiscale, leur confiance peut en être affectée. Mais le problème ne se limite pas à Apple. Exploiter les failles du système jusqu’à ce que les règles s’adaptent (et parfois faire campagne contre le changement des règles) semble être la norme aujourd’hui dans les entreprises. Auquel cas, nul ne devrait s’étonner des décisions prises par l’Oceanic Steam Navigation Company.

Dans le respect du cadre légal

À la fin du 19e siècle, les plus grands bateaux étaient principalement des ferrys. Ils déplaçaient des foules de gens d’un point à un autre en restant à faible distance des côtes. Les règles de responsabilité des armateurs étaient très logiquement édictées en fonction de la manière d’utiliser les navires à l’époque – comme des ferrys. Mais à l’époque du lancement du Titanic en 1912, la législation n’avait pas encore été actualisée pour tenir compte de la nouvelle race des transatlantiques (l’équivalent de « l’ère numérique » de Timothy Cook). Le Titanic transportait le nombre de canots de sauvetage requis par la loi, qui était de seize. Malheureusement, ce paquebot était quatre fois plus grand que la catégorie supérieure du classement officiel des navires de l’époque.

L’Oceanic Steam Navigation Company, armateur du Titanic s’était conformée à une réglementation dépassée. (En réalité, elle avait tout de même ajouté quatre radeaux gonflables.) Hélas, comme chacun sait, le 14 avril 1912, quatre jours seulement après avoir appareillé pour son voyage inaugural, le Titanic heurta un iceberg loin de tout rivage. Les canots de sauvetage n’étaient pas assez nombreux pour tout le monde et plus de 1 500 des 2 224 passagers et membres d’équipages y laissèrent la vie. Ce navire quatre fois plus grand que la catégorie la plus grande ne transportait qu’un quart des embarcations dont il aurait eu besoin. Il n’est pas étonnant que seuls un peu plus du quart des passagers et de l’équipage aient survécu ce jour-là.

Les milieux maritimes savaient bien que la réglementation était dépassée et serait bientôt actualisée. En fait, des espaces supplémentaires avaient été prévus sur le pont du Titanic en prévision d’une future obligation de « canots de sauvetage pour tous ». Mais ces canots coûtaient cher. Il fallait les entretenir et ils pouvaient affecter la stabilité du navire. Les dirigeants de l’Oceanic Steam Navigation Company avaient donc décidé de ne pas augmenter leur nombre tant que la réglementation ne l’imposerait pas. Les canots n’étaient pas suffisants pour tous les passagers, mais l’armateur respectait parfaitement les règles en vigueur.

La corrélation troublante entre les arguments d’Apple sur la fiscalité et la décision des armateurs du Titanic de ne pas installer davantage de canots de sauvetage ne s’arrête pas là. Au début du 20e siècle, l’industrie du transport maritime faisait campagne contre la refonte de la réglementation : multiplier les canots sur le pont à la vue de tous, soutenait-elle, aurait nui à ses affaires, car le public se serait dit que les navires n’étaient pas sûrs. De même, Apple et d’autres prétendent qu’ils perdraient en compétitivité s’ils payaient les impôts qu’ils doivent. (À propos, cet argument était aussi utilisé par les constructeurs automobiles dans les années 1950 avant que les ceintures de sécurité ne deviennent obligatoires. Ils craignaient que leur présence ne fasse douter de la sécurité des automobiles.)

Il peut être bon de noter que, selon le service budgétaire du Congrès, les contribuables américains ont versé 1 100 milliards de dollars au gouvernement en 2011 et les sociétés 181 milliards seulement. Ce tour de passe-passe ne met sans doute pas de vies en jeu, mais, au niveau strictement biologique, il rend très difficile pour la plupart des gens de faire confiance aux entreprises qui s’y livrent. La moralité d’une entreprise est analogue à celle d’une personne : la loi a du mal à la définir, mais n’importe qui la ressent.

Étant donné l’échelle à laquelle fonctionnent beaucoup d’entreprises aujourd’hui, il paraît normal que leurs dirigeants n’aient d’autre choix que de gérer leurs activités sur des tableurs et des écrans, souvent très loin des gens affectés en fin de compte par leurs décisions. Mais si les chiffres de Milgram s’appliquaient, cela signifierait que 650 dirigeants d’entreprises classées au palmarès Fortune 1000, les plus grandes entreprises américaines, sont capables de prendre des décisions sans se préoccuper de leur effet sur la vie d’êtres humains.

Ce qui ramène tout droit aux conditions dans lesquelles l’animal humain que nous sommes fonctionne le mieux. D’après l’expérience de Milgram, pour réduire les effets dommageables de l’abstraction sur nos décisions, le sentiment d’une autorité supérieure – Dieu, une cause noble, une vision impérieuse de l’avenir ou quelque autre code moral, et en tout cas pas l’actionnaire, le client ou la demande du marché – est essentiel. Quand nos leaders nous proposent de faire partie de quelque chose de noble, quand ils nous offrent une raison ou un objectif irrésistible pour aller au travail, quelque chose qui nous survivra, il semble que cela nous rend capable d’agir avec droiture quand l’occasion s’en présente, même si nous devons pour cela sacrifier une partie de notre confort immédiat. Et quand un leader à la hauteur de sa responsabilité se soucie des gens plus que des chiffres, alors les gens le suivront, résoudront des problèmes et veilleront à ce que sa vision se réalise au mieux, de manière exacte et non approximative.

La question n’est pas que les gens soient bons ou mauvais. Comme les volontaires de Milgram, beaucoup d’entre nous travaillent hors de la vue des personnes affectées par leurs décisions. C’est-à-dire que nous nous trouvons très désavantagés si nous avons le moindre désir de bien agir (ce qui est différent d’agir dans la légalité). On ne peut s’empêcher de penser à Johnny Bravo qui, au-dessus des nuages et privé de contact visuel avec les commandos, avait jugé nécessaire de voler plus bas juste pour voir ceux qu’il devait protéger. Si nous choisissons de rester au-dessus des nuages, en nous fiant seulement aux informations qu’on nous fournit au lieu de descendre pour voir de nos propres yeux, il est plus difficile de prendre de bonnes décisions morales et plus encore d’admettre notre responsabilité si nous ne les prenons pas. Heureusement, certains gestes peuvent nous aider à gérer l’abstraction et à maintenir des Cercles solides.

 

Imagine un monde où la confiance règne, où chaque individu sait qu’il peut compter sur les autres, où la coopération n’est pas un vain mot mais une réalité palpable. C’est ce que ce livre nous invite à découvrir.

Dans un récit captivant, l’auteur nous plonge d’abord dans une nuit de combat en Afghanistan, où un pilote, Johnny Bravo, met sa vie en jeu pour protéger des soldats au sol. Pourquoi agit-il ainsi, sans y être obligé ? Parce qu’il sait qu’ils auraient fait la même chose pour lui. Ce sens du devoir, ancré dans l’empathie et le leadership, est au cœur de toute organisation qui fonctionne véritablement.

Puis, nous voici plongés dans l’univers d’une entreprise où les employés sont traités comme des numéros. Jusqu’au jour où un leader visionnaire, Bob Chapman, décide de tout changer. Plus de pointeuses, plus de barrières entre ouvriers et cadres, plus de méfiance. Résultat ? Une transformation spectaculaire où l’humain prend enfin la place qu’il mérite.

Le message est clair : nous sommes biologiquement programmés pour fonctionner en tribu, protégés par un Cercle de sûreté. Lorsque ce cercle existe, les salariés donnent le meilleur d’eux-mêmes, sans stress destructeur ni rivalité toxique. Les organisations qui l’ont compris prospèrent, tandis que les autres s’épuisent dans la peur et le contrôle.

Nous croyons parfois que la sécurité financière est plus importante que le bonheur au travail. Or, les études prouvent que le stress d’un mauvais emploi est plus nocif que le chômage. Être ignoré par son manager tue la motivation, alors qu’un simple mot d’encouragement peut tout changer.

L’auteur ne prône pas un idéalisme naïf : il s’appuie sur des faits, des chiffres et des exemples concrets. Il nous montre que les entreprises les plus performantes ne sont pas celles qui pressent leurs employés, mais celles qui les protègent. Que les grandes réussites ne viennent pas de la compétition acharnée, mais de la coopération et de la confiance mutuelle.

Dans un style fluide et percutant, ce livre bouleverse nos certitudes et nous pousse à voir le travail autrement. Que tu sois dirigeant, manager ou simple salarié, tu en ressortiras transformé. Prêt à bâtir une culture d’entreprise plus humaine, plus forte, et surtout plus pérenne. Car au final, nous ne travaillons pas pour une entreprise, mais pour les gens qui nous entourent.

Tu trouveras ce livre sur le site Place des Libraires en identifiant une librairie près de chez toi, ou sur le site de la FNAC.

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