Chapitre 7 – Le grand C
Le temps était chaud et ensoleillé, comme il se doit en cette période de l’année. Une brise douce et tranquille atténuait la morsure du soleil. C’était, à tous points de vue, une journée idéale.
Tout à coup, au coin d’un œil, le calme disparut. Peut-être était-ce un frémissement de l’herbe, peut-être avait-elle seulement eu l’impression de voir quelque chose. Elle n’en était pas sûre, mais franchement, la question n’était pas là. L’important était qu’il y avait peut-être quelque chose là-bas. Quelque chose de dangereux. Quelque chose de mortel.
L’anxiété, à elle seule, était suffisante pour que la gazelle cesse de paître et dresse aussitôt la tête pour tenter de voir, en espérant que ce n’était pas un lion. Une autre gazelle remarqua que l’un des membres du groupe s’était mis en alerte. Elle aussi cessa immédiatement de paître pour regarder – deux paires d’yeux valent mieux qu’une seule. Bientôt, tout le groupe en faisait autant. Aucune des gazelles ne savait exactement ce qu’elle cherchait des yeux, elles savaient seulement que si l’une d’elles se sentait menacée, elles devaient toutes se sentir menacées.
Soudain, l’une des gazelles, qui n’était pas des premières alertées, vit le lion prêt à bondir et prit d’instinct le galop dans la direction opposée. Qu’elles aient vu le lion ou pas, toutes les bêtes de la harde suivirent à toute allure dans la même direction. Le lion tenta une poursuite, mais il était incapable de courir longtemps et se trouva vite à bout de forces. Son attaque par surprise avait échoué, les gazelles vivraient une journée de plus. C’est l’un des avantages de la vie en groupe : tous les membres du groupe peuvent contribuer à la détection du danger. Si l’un d’eux sent un danger, le groupe entier peut aider à le localiser avant qu’il ne soit trop tard.
On a vu cette scène familière dans maint documentaire animalier. Quelquefois, le lion tue, d’autres fois pas. Mais la réaction des gazelles est toujours la même. Quelques-unes d’entre elles sentent d’abord qu’il se passe quelque chose. Elles tentent alors de localiser le danger et, s’il est bien là, elles s’enfuient éperdument. C’est cette sensation initiale, cette impression qu’une menace rode dans les parages, qui déclenche toute la scène, améliorant en fin de compte les chances de survie de la harde.
Ce sentiment que quelque chose ne va pas est un système d’alerte avancé présent chez tous les mammifères, nous compris. Il sert à nous avertir des menaces et à aiguiser nos sens pour nous préparer à un péril possible. Sans lui, nous ne nous alarmerions qu’au vu du danger ou une fois l’attaque engagée. Et du point de vue de la survie, ce serait probablement trop tard.
Les vingt-deux commandos d’Afghanistan protégés par Johnny Bravo au péril de sa vie en sont un exemple parfait. Cette nuit-là, ils avaient le sentiment que quelque chose clochait. Cette intuition d’un danger imminent qu’ils ressentaient, de même que la gazelle et nous tous, est le produit d’une substance chimique appelée cortisol. Le cortisol est responsable du stress et de l’anxiété éprouvés quand nous entendons un boum dans la nuit. C’est le premier niveau de notre réaction de combat ou de fuite. Comme un système d’alarme perfectionné qui appelle automatiquement la police, le cortisol sert à nous prévenir d’un danger possible et à nous préparer à prendre des mesures de protection afin d’améliorer nos chances de survie.
Transposez la scène des gazelles dans un bureau. La rumeur de licenciements futurs parvient à une personne. Elle en fait part à un collègue de travail. Avant longtemps, comme dans la harde de gazelles, la nouvelle se répand et le bureau tout entier s’emplit de potins et de jérémiades dans l’inquiétude des licenciements imminents. Tous les salariés sont en alerte à cause du cortisol qui coule dans leurs veines. Le stress qu’ils ressentent les retient de faire quoi que ce soit d’autre tant que la menace ne sera pas dissipée.
Si la menace est réelle, de l’adrénaline se trouve relâchée dans notre système sanguin, comme la police accourant au son d’une alarme ; elle nous donne l’énergie de fuir ou de faire face. (Avez-vous entendu de ces récits de mères animées soudain d’une force surhumaine pour sauver leurs enfants ? L’adrénaline en est la cause.) Mais s’il n’y a pas de péril, nous respirons un bon coup, nous attendons que le cortisol disparaisse de notre sang, nous laissons notre rythme cardiaque revenir à la normale et nous nous détendons de nouveau.
Le cortisol n’est pas censé demeurer dans notre organisme ; il est fait pour affluer quand nous ressentons une menace, puis disparaître une fois celle-ci écartée. Et pour une bonne raison. Le stress, c’est sérieux. Sa manière de reconfigurer nos systèmes internes peut causer des dommages durables s’il nous faut vivre perpétuellement sous l’empire de la crainte ou de l’anxiété.
Nous éprouvons tous l’effet du cortisol quand nous craignons pour notre bien-être. Mais il est aussi à l’œuvre quand nous ressentons de l’anxiété, de la gêne ou du stress au travail. À la différence des gazelles, les humains possèdent un néocortex perfectionné. Cette partie du cerveau est responsable du langage aussi bien que de la pensée rationnelle, analytique et abstraite. Tandis que les gazelles se contentent de réagir au cortisol présent dans leur corps, nous, humains, désirons connaître la cause de notre stress, comprendre ce qui se passe ou rationaliser nos sentiments. Souvent, nous tentons de trouver la source des menaces, réelles ou supposées, afin d’expliquer notre malaise. Nous incriminerons peut-être un patron qui nous ment ou un collègue ambitieux susceptible de nous poignarder dans le dos. Nous nous reprocherons d’avoir commis une bévue lors d’une réunion. Nous revenons sans cesse sur ce que nous avons fait ou pas fait afin de comprendre pourquoi nous nous sentons anxieux. La paranoïa due au cortisol fait son boulot, un point c’est tout. Elle nous incite à trouver la menace et à nous y préparer. À combattre, à fuir ou à nous cacher.
Que le danger soit réel ou imaginaire, le stress que nous ressentons est réel. Contrairement à notre esprit rationnel, notre corps ne tente pas d’évaluer la nature du danger. Nous réagissons simplement à la substance chimique qui se déverse dans notre sang pour nous préparer à ce qui pourrait se passer. Notre cerveau paléolithique ne cherche pas à comprendre le péril. Il veut juste améliorer nos chances de survie. Qui plus est, notre organisme ignore que nous travaillons dans un bureau et non au grand air dans la savane. Notre antique système d’alarme ne comprend pas que le « danger » affronté ne menace guère notre vie. Tout dévoué à nos intérêts, il nous enjoint de réagir comme si c’était le cas.
Un de mes amis travaille à l’université de Columbia. Il se rendit un jour dans un bureau pour remplir un formulaire administratif. Il se montra poli et cordial envers la jeune femme assise au guichet, mais celle-ci adopta un autre registre. Sans lui témoigner ni hostilité ni impolitesse, elle lui donna l’impression d’une totale indifférence à sa personne et à ses besoins. À ses questions, elle répondit de manière laconique, sans lui fournir ni aide ni renseignements au-delà du minimum requis. Passant au fonctionnaire suivant, mon ami eut derechef l’impression de l’ennuyer ou de l’agacer, simplement parce qu’il lui demandait de faire son travail. Alors qu’ils étaient salariés de la même organisation que lui et qu’il était de leur intérêt mutuel de lui venir en aide, les administratifs semblaient peu enclins ou même rétifs à coopérer.
Dans un bureau comme celui visité par mon ami, les gens préfèrent rester entre eux, n’avoir de contacts que si nécessaire, puis rentrer à la maison une fois leur travail terminé. Rien ne laisse penser que l’un prendrait des risques ou ferait l’impossible pour protéger l’autre. Et de ce fait, alors même qu’aucun licenciement n’est à craindre et que le stress dû au travail est faible, une anxiété diffuse règne en permanence. En tant qu’animaux sociaux, nous éprouvons du stress quand nous ne nous sentons pas soutenus. Pour notre cerveau primitif, ce malaise subconscient, l’impression de ne pouvoir compter que sur nous-mêmes sans l’aide de personne, le sentiment que la plupart des gens avec qui nous travaillons se soucient avant tout d’eux-mêmes, sont effrayants. Or le problème ne tient pas aux gens, il tient au contexte.
Une gazelle qui perçoit un problème alerte le reste de la harde, accroissant ainsi les chances de survie de tous. Beaucoup d’entre nous travaillent, hélas, dans une ambiance où les membres du groupe se soucient peu du sort des autres. Ce qui signifie que des informations utiles, par exemple sur un danger imminent, sont souvent tenues secrètes. Les liens de confiance entre salariés ou entre dirigeants et travailleurs sont donc faibles, si ce n’est inexistants. Nous n’avons guère d’autre choix que de penser d’abord à nous. Si nous supposons que notre patron nous est hostile, si nous craignons constamment de commettre une erreur qui nous mettrait en difficulté, si nous redoutons qu’un collègue de travail ne cherche à s’arroger le mérite de nos actes ou à nous poignarder dans le dos, si nous sommes trop sensibles aux exagérations des médias, si nous nous alarmons d’un risque de licenciement au cas où l’entreprise n’atteindrait pas ses objectifs annuels, si l’ensemble du personnel est démotivé, si nous ne sentons pas un Cercle de sûreté, alors le cortisol commence à sourdre dans nos veines. Plic, ploc.
Le problème est sérieux. En effet, le cortisol inhibe la libération d’ocytocine, responsable de l’empathie. C’est-à-dire que lorsque le Cercle de sûreté est faible et qu’il faut investir du temps et de l’énergie pour se protéger contre les jeux de pouvoir et autres dangers internes à l’entreprise, nous devenons en fait encore plus égoïstes et moins concernés par les autres ou par l’organisation.
Travailler dans une ambiance malsaine, déséquilibrée, est un peu comme escalader l’Everest : on s’adapte à son environnement. Malgré les dangers environnants, les alpinistes savent s’attarder au camp de base, le temps que leur organisme s’habitue, ce qui leur permettra de continuer. Nous en faisons autant dans une ambiance malsaine. En effet, si la violence et les abus régnaient, si nous étions chaque jour menacés de licenciement, nous partirions certainement. Mais dans une situation plus subtile, avec des jeux de pouvoir, de l’opportunisme, des plans sociaux de temps en temps et une défiance généralisée entre collègues, on s’adapte.
Comme au camp de base de l’Everest, nous croyons aller bien et nous faisons avec. Il n’en reste pas moins que l’animal humain n’est pas fait pour ces conditions. Nous nous croyons peut-être en forme, mais l’environnement produit ses effets. Le simple fait de s’y accoutumer, le fait qu’il devienne normal, ne signifie pas qu’il est acceptable. Sur l’Everest, même après ce temps d’adaptation, nos organes internes commencent à dysfonctionner si nous restons trop longtemps sur la montagne. Il en va de même dans une ambiance malsaine. Nous aurons beau nous habituer à vivre dans le stress avec une présence régulière de cortisol à faible dose dans l’organisme, cela ne veut pas dire que ce soit souhaitable.
Un flux constant de cortisol n’est pas seulement mauvais pour les organisations. Il peut aussi nuire gravement à notre santé. Comme les autres substances égoïstes, le cortisol peut nous aider à survivre mais il n’est pas censé être présent tout le temps dans notre organisme. Il perturbe notre métabolisme du glucose. Il accroît aussi la pression sanguine, aggrave les réactions inflammatoires et réduit les aptitudes cognitives. (Il est plus difficile de se concentrer sur des sujets extérieurs à l’organisation si l’on est stressé par ce qui se passe à l’intérieur.) Le cortisol nous rend plus agressifs, annihile notre désir sexuel et nous inspire plus généralement une impression d’épuisement. Et voici l’assassin – littéralement. Le cortisol prépare notre organisme à réagir soudainement – à combattre ou fuir selon les circonstances. Comme cela réclame beaucoup d’énergie, notre organisme, s’il se sent menacé, désactive ses fonctions non essentielles telles que la digestion et la croissance. Il les réactive une fois le stress disparu. Malheureusement, l’une des fonctions jugées non essentielles par l’organisme est le système immunitaire, qui est donc mis entre parenthèses à l’arrivée du cortisol. Autrement dit, si nous travaillons dans un contexte où la confiance est basse, où les relations sont médiocres ou purement factuelles et où le stress et l’anxiété sont la norme, nous devenons bien plus vulnérables à la maladie.
Tandis que l’ocytocine renforce notre système immunitaire, le cortisol le déstabilise. Ce n’est peut-être pas une coïncidence si notre monde moderne a vu bondir les taux de cancer, de diabète, de maladies cardiaques et autres affections évitables. Aujourd’hui, nous avons bien plus de chances d’être tués par elles que par la criminalité ou le terrorisme. Le National Counterterrorism Center estime que plus de 12 500 personnes dans le monde ont été victimes du terrorisme en 2011. D’après les statistiques du FBI, environ 165 000 personnes ont été assassinées aux États-Unis entre 2000 et 2010, dont plus des deux tiers par arme à feu (la Floride n’est pas comprise dans ces statistiques). Comparez ces chiffres aux 600 000 décès par maladie cardiaque enregistrés chaque année aux États-Unis, auxquels s’ajoutent près de 600 000 décès par cancer en 2012. Songez-y : chaque année, le cancer et les maladies cardiaques tuent sept fois plus que les assassins en en une décennie !
Bien entendu, tous ces décès ne sont pas dus au seul stress, mais face à ces chiffres toujours plus énormes, il paraîtrait normal que les leaders des organisations se demandent que faire. Il est effroyable de penser que quelque chose d’aussi simple qu’un système de motivation ou une culture d’entreprise a sa part dans ces statistiques. Le travail nous tue littéralement.
En revanche, une culture organisationnelle forte est bonne pour la santé. Le contexte dans lequel nous travaillons et notre manière d’interagir mutuellement ont vraiment une importance. Un cadre de travail positif aide à instaurer les liens de confiance nécessaires à une coopération efficace. Les systèmes antiques dont nous avons hérité sont incapables de distinguer entre les menaces rencontrées dans la nature de l’ère paléolithique et celles ressenties dans un cadre de travail moderne ; ils réagissent donc de la même manière. Notre organise libère du cortisol pour nous aider à rester en vie. Si, là où nous travaillons, les dirigeants disent la vérité, si les licenciements ne sont pas automatiques en période difficile et si les outils de stimulation ne se contredisent pas les uns les autres, il en résulte plus de confiance et de coopération grâce à l’élévation des niveaux d’ocytocine et de sérotonine.
Voilà ce que signifie l’équilibre entre travail et vie privée. Il n’a rien à voir avec le temps de travail ni avec la pénibilité. Il se rapporte au sentiment de sécurité que nous éprouvons. Si nous nous sentons en sécurité chez nous mais pas au travail, alors nous ressentons un déséquilibre entre travail et vie privée, et nous en souffrons. Si nous avons des relations fortes au travail et à la maison, si nous éprouvons un sentiment d’appartenance, si nous nous sentons protégés ici comme là-bas, alors la puissance d’une substance aussi magique que l’ocytocine peut réduire les effets du stress et du cortisol. Avec la confiance, nous agissons les uns pour les autres, nous veillons les uns sur les autres, nous nous sacrifions les uns pour les autres. Tout cela renforce notre sentiment de sécurité à l’intérieur d’un Cercle de sûreté. Nous éprouvons une impression de confort et de confiance au travail qui réduit notre stress global, car nous n’avons pas le sentiment que notre bien-être soit menacé.
Licenciez vos enfants
Autour de Charlie Kim, la tension était palpable. Vers la fin de chaque exercice comptable, avec la régularité d’une pendule, l’ambiance changeait dans le bureau. La peur s’installait. Peur que les résultats de l’entreprise soient mauvais, peur que certaines personnes ne soient plus là l’an prochain. Kim, fondateur de Next Jump vingt ans plus tôt, en avait vécu les nombreux hauts et bas ; il connaissait très bien les effets paralysants de la peur ou de la paranoïa. Il prit donc une décision audacieuse, qui allait considérablement renforcer le Cercle de sûreté de l’entreprise.
« Nous voulons faire de Next Jump une entreprise que nos mères et nos pères seront fiers de nous voir construire », assure Kim. Et en grande partie, faire la fierté de ses parents signifie être une bonne personne et bien agir. Il a donc mis en œuvre une politique d’emploi à vie, ce qui pourrait faire de Next Jump un cas unique dans la high-tech américaine. Personne ne sera licencié pour équilibrer les comptes. Et même les erreurs coûteuses ou les mauvais résultats individuels ne sont pas un motif de licenciement. L’entreprise prendra au minimum le temps de chercher le problème et d’aider ses collaborateurs à y remédier. Comme un athlète qui connaît un passage à vide, un « Next Jumper » n’est pas renvoyé, il est réentraîné. Les seuls cas, ou presque, dans lesquels un salarié serait mis à la porte serait le non-respect des valeurs morales élevées de l’entreprise dans son travail ou les gestes délibérément tournés contre ses collègues.
Ce n’est pas aussi fou qu’il y paraît. La quasi-impossibilité de licencier oblige Next Jump à consacrer à ses recrutements beaucoup plus de temps et d’attention que bien d’autres entreprises de son secteur. Outre leurs compétences et leur expérience, l’entreprise s’attarde beaucoup à évaluer le caractère des candidats désireux de travailler chez elle. Une personne sur cent seulement sera embauchée. « Si l’on dit à un dirigeant qu’il ne peut plus renvoyer personne mais qu’il doit quand même accroître régulièrement son chiffre d’affaires et ses profits quel que soit l’état du marché, il ne lui reste qu’à surveiller les autres variables encore en son pouvoir comme le recrutement, la formation et le développement », explique Kim. Une fois que quelqu’un est là, la priorité des dirigeants est de l’aider à progresser.
Puisqu’ils offrent une possibilité d’emploi à vie à ceux qui le désirent, les dirigeants de l’entreprise doivent tout faire pour recruter les bonnes personnes. « Licencier est une solution de facilité, assure Kim. Aimer suffisamment les gens, les encadrer, les aider, même, à trouver un emploi ailleurs s’ils ne se trouvent pas à l’aise chez nous, sont des moyens bien plus efficaces mais qui réclament bien plus de temps et d’attention de la part de l’entreprise. »
Pour Kim, la gestion d’une entreprise a beaucoup à apprendre de l’éducation des enfants. L’une comme l’autre oblige à équilibrer des besoins immédiats et des buts lointains. « D’abord et par-dessus tout, vous êtes engagés envers eux pour la vie, souligne Kim. En fin de compte, vous désirez qu’ils deviennent meilleurs. » Il regarde ses salariés exactement du même œil. Quasiment -personne ne songerait à se débarrasser de ses enfants en période difficile, « alors, comment pourrions-nous licencier ? demande-t-il. Nous avons beau nous disputer avec nos frères et sœurs, nous ne pouvons renier notre famille. Nous sommes obligés de faire en sorte que ça marche. » Peut-être Kim n’est-il pas le meilleur des patrons ni le meilleur des parents – aucun de nous ne l’est – mais il serait difficile de nier qu’il est attentif et essaie de faire de son mieux. Même si cela signifie admettre parfois qu’il se trompe.
Un ingénieur de l’entreprise raconte avoir d’abord vu la politique d’emploi à vie comme une idée sympathique pour les collaborateurs peu efficaces, mais sans guère de conséquence pour lui, élément d’élite qui ne craignait pas de perdre son emploi. Il n’avait pas prévu à quel point elle l’aiderait en tant que chef de service. Une fois le principe établi, son équipe a commencé à s’exprimer plus franchement. Elle signalait plus vite les erreurs et les problèmes, avant qu’ils ne s’aggravent. Le partage des informations et la coopération se sont aussi renforcés. Du simple fait que ses collaborateurs ne craignaient plus pour leur emploi, les résultats de son équipe ont beaucoup progressé. Comme les résultats de toute l’entreprise, d’ailleurs.
Dans les années précédentes, le chiffre d’affaires de Next Jump augmentait en moyenne de 25 % par an. Sans autre changement majeur que la politique d’emploi à vie, sa progression à bondi à 60 % par an et ne montre aucun signe de fléchissement. Beaucoup de ses ingénieurs reçoivent des offres d’emploi de Google, de Facebook ou d’autres grands de la high-tech, mais ils ne s’en vont pas. Parmi eux, la rotation du personnel était de 40 %, ce qui correspond au niveau de l’industrie. Aujourd’hui, ils s’attachent davantage à faire progresser leurs collaborateurs, et la rotation du personnel est tombée à 1 %. Il s’avère que, nonobstant titres ronflants et salaires plus élevés, les gens aiment mieux travailler dans un endroit où ils éprouvent un sentiment d’appartenance. Ils préfèrent se sentir en sécurité parmi leurs collègues, avoir des occasions de progresser et sentir qu’ils font partie de quelque chose de plus grand qu’eux, plutôt que de travailler dans un endroit où on leur propose simplement de devenir riches.
Cela, c’est ce qui se passe quand les êtres humains, ingénieurs y compris, sont placés dans un contexte pour lequel ils sont faits. Nous ne nous en allons pas. Nous restons fidèles. Nous nous aidons les uns les autres et nous accomplissons notre travail avec fierté et passion.
Quand les dirigeants prennent le temps d’instaurer des relations appropriées et choisissent de faire passer leurs collaborateurs avant les chiffres, quand nous pouvons réellement éprouver un sentiment de confiance les uns envers les autres, l’ocytocine relâchée dans l’organisme peut inverser beaucoup des effets négatifs d’un environnement très stressant, saturé en cortisol. En d’autres termes, ce qui nous aide à réduire le stress et à équilibrer travail et vie privée n’est pas la nature ou la durée de notre travail, mais l’augmentation de la quantité d’ocytocine et de sérotonine. La sérotonine renforce notre confiance en nous, elle nous incite à aider ceux qui travaillent pour nous et à les rendre fiers. L’ocytocine calme le stress, accroît notre intérêt pour notre travail et améliore nos capacités cognitives, ce qui nous rend mieux capables de résoudre des problèmes complexes. Elle stimule notre système immunitaire, abaisse notre tension artérielle, accroît notre libido et réduit nos tentations et nos addictions. Et surtout, elle nous incite à travailler ensemble.
C’est pourquoi les gens qui « aiment leur travail » (une formule qui sent son ocytocine) n’ont pas de mal à refuser un emploi mieux payé. Comparée aux situations où les dirigeants récompensent les décisions imposées par les événements ou les actions visant une gratification immédiate, une culture dans laquelle les substances chimiques altruistes agissent plus librement aboutit à une plus grande stabilité de l’organisation et à de meilleurs résultats dans la durée. Et quand cela se produit, nos liens se renforcent, notre loyauté s’intensifie et l’organisation y gagne en longévité. Et surtout, nous rentrons chez nous plus heureux et nous vivons plus longtemps et en meilleure santé.
Ce genre de culture est possible dans des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs. Dès lors que des êtres humains se trouvent réunis au nom d’une cause commune, les dirigeants peuvent choisir d’instaurer la culture de leur choix. Cela n’exige ni bouleversement ni licenciements. Inutile de changer de personnel. Ceux qui n’adhèrent pas aux valeurs essentielles de cette culture sentent qu’ils ne sont pas à leur place : le cortisol le leur dit. Ils se sentent extérieurs au groupe, ce qui engendre de l’anxiété, et préféreront sans doute aller chercher ailleurs un endroit plus à leur goût. Les autres, au contraire, se sentiront en sécurité parmi leurs collègues. Ils auront le sentiment d’avoir trouvé un chez soi.
Pour y parvenir, il suffit de le vouloir. Les dirigeants ont les moyens de créer un environnement dans lequel les gens s’épanouiront naturellement tout en agissant pour le bien de l’organisation elle-même. Une fois la culture et les valeurs définies clairement, il devient de la responsabilité de tous les membres du groupe, qu’ils fassent officiellement partie des dirigeants ou non, d’agir en leaders, de défendre des valeurs et de préserver le Cercle de sûreté.
Imagine un monde où la confiance règne, où chaque individu sait qu’il peut compter sur les autres, où la coopération n’est pas un vain mot mais une réalité palpable. C’est ce que ce livre nous invite à découvrir.
Dans un récit captivant, l’auteur nous plonge d’abord dans une nuit de combat en Afghanistan, où un pilote, Johnny Bravo, met sa vie en jeu pour protéger des soldats au sol. Pourquoi agit-il ainsi, sans y être obligé ? Parce qu’il sait qu’ils auraient fait la même chose pour lui. Ce sens du devoir, ancré dans l’empathie et le leadership, est au cœur de toute organisation qui fonctionne véritablement.
Puis, nous voici plongés dans l’univers d’une entreprise où les employés sont traités comme des numéros. Jusqu’au jour où un leader visionnaire, Bob Chapman, décide de tout changer. Plus de pointeuses, plus de barrières entre ouvriers et cadres, plus de méfiance. Résultat ? Une transformation spectaculaire où l’humain prend enfin la place qu’il mérite.
Le message est clair : nous sommes biologiquement programmés pour fonctionner en tribu, protégés par un Cercle de sûreté. Lorsque ce cercle existe, les salariés donnent le meilleur d’eux-mêmes, sans stress destructeur ni rivalité toxique. Les organisations qui l’ont compris prospèrent, tandis que les autres s’épuisent dans la peur et le contrôle.
Nous croyons parfois que la sécurité financière est plus importante que le bonheur au travail. Or, les études prouvent que le stress d’un mauvais emploi est plus nocif que le chômage. Être ignoré par son manager tue la motivation, alors qu’un simple mot d’encouragement peut tout changer.
L’auteur ne prône pas un idéalisme naïf : il s’appuie sur des faits, des chiffres et des exemples concrets. Il nous montre que les entreprises les plus performantes ne sont pas celles qui pressent leurs employés, mais celles qui les protègent. Que les grandes réussites ne viennent pas de la compétition acharnée, mais de la coopération et de la confiance mutuelle.
Dans un style fluide et percutant, ce livre bouleverse nos certitudes et nous pousse à voir le travail autrement. Que tu sois dirigeant, manager ou simple salarié, tu en ressortiras transformé. Prêt à bâtir une culture d’entreprise plus humaine, plus forte, et surtout plus pérenne. Car au final, nous ne travaillons pas pour une entreprise, mais pour les gens qui nous entourent.
Tu trouveras ce livre sur le site Place des Libraires en identifiant une librairie près de chez toi, ou sur le site de la FNAC.