Enfant jouant avec une guitare acoustique.

Tous enthousiastes ! – André Stern – Et si nous rendions le réel aussi inspirant que le virtuel ?

Place à quelques scepticismes

N’y a-t-il pas un danger de s’enthousiasmer pour « de mauvaises choses » (drogue, alcool, télévision, jeu, etc.) et d’en devenir dépendant ?

Mon sentiment est que, dans un cas comme dans l’autre, l’addiction n’est qu’un symptôme. La cause est ailleurs, et c’est davantage celle-ci qui devrait nous inquiéter.

En voyant certains enfants s’enfoncer de plus en plus profondément dans le monde virtuel (jeux vidéo, réseaux sociaux, etc.), nous aurions de quoi nous inquiéter. Car il devient vite évident que s’il n’en tenait qu’à eux, ils choisiraient de n’en jamais revenir.

L’univers informatique fait l’effet d’un trou noir et l’on conseille généralement aux parents d’en tenir leurs enfants aussi éloignés que possible. L’observation quotidienne semble confirmer immanquablement cette attraction irrésistible exercée par le monde virtuel sur nos enfants. Donc confirmer son danger. Et pourtant, en conclure que le monde virtuel est dangereux mélange les causes et les effets. Un peu comme dans cette blague où un savant (non végan…) arrache une patte à une puce et, la posant sur la table, claque des doigts en lui ordonnant de sauter. La puce ayant sauté, il lui arrache une deuxième patte et observe qu’à son commandement, elle saute à nouveau. Il progresse ainsi jusqu’au moment où, ayant arraché toutes les pattes à la puce et ayant constaté que celle-ci, malgré ses ordres répétés, ne saute plus, il conclut son étude par : « Quand on arrache six pattes à une puce, elle devient sourde ! »

Lorsqu’un enfant s’enthousiasme davantage pour le monde virtuel que pour le monde « réel », cela ne fait pas du monde virtuel un danger. Mais pour comprendre pourquoi l’addiction n’est qu’un symptôme et pourquoi le danger est ailleurs, il y a une chose que nous devons savoir – ou nous remémorer :

Chaque enfant veut être un héros.

Examinons son monde. La vie d’un enfant se partage entre deux moitiés caractéristiques : le temps qu’il passe à l’école et celui qu’il passe à la maison. Tant que les paradigmes et les attitudes envers l’enfance sont tels qu’ils sont, il est impossible à l’enfant d’être un héros à l’école. Pas par la faute de l’école, je tiens à le répéter : il s’agit bien d’une attitude générale, dont l’école n’est pas plus exempte que les autres domaines. Même aux bons élèves, il est impossible d’être des héros dans toutes les disciplines, ou certainement pas à chaque fois. S’ils sont héroïques aux yeux de leurs enseignants, il y a de fortes chances pour qu’ils ne le soient pas à ceux de leurs camarades. Sans parler des mauvais élèves, qui, eux, sont humiliés, exclus, raillés…

Par chance, pourrait-on penser, il reste l’autre moitié… Mais là encore, tant que les paradigmes et les attitudes sont tels qu’ils sont, il s’avère tout aussi impossible d’être un héros à la maison. Et cela commence tellement tôt, tellement à notre insu ! Prenons le seul exemple de cette traditionnelle question, que chaque jeune parent reconnaîtra : « Alors, il fait ses nuits ? » Cette question devient le destin de l’enfant, car ses parents ne pourront plus l’aborder librement. Inconsciemment (n’oublions pas que le non-verbal est le langage que les bébés comprennent le mieux), ils font passer à leur enfant le message qu’ils l’aimeraient davantage s’il dormait davantage, s’il faisait ses nuits… s’il changeait, s’il correspondait à ce qu’on attend de lui.

Dans quel monde est-il possible de devenir un héros, immédiatement et sans conditions ? Sans avoir à attendre d’être « plus grand », sans avoir à faire des « efforts » ou « des progrès » ? Dans le monde virtuel ! Et en plus de combler ce besoin de se sentir un héros, le monde virtuel, où les résultats scolaires n’ont aucune importance, offre un espace protégé et intime (parce que, par exemple, les parents ne comprennent rien de ce qui s’y passe) qui permet de s’enthousiasmer et de jouer, sans subir aucune discrimination, ni d’âge, ni de couleur de peau, ni de genre, ni d’origine – et récolter de nombreux signes et insignes de considération. Il est facile de comprendre pourquoi l’enfant, une fois qu’il y a goûté, ne veut plus quitter cet univers-là.

Dangereux n’est donc pas le monde virtuel, mais bien le monde « réel », où l’enfant se sent victime de l’un des plus invisibles des « -ismes » de notre société : l’âgisme. Cette constatation inattendue ouvre les portes d’un chantier très nouveau : façonner, désormais, les deux moitiés du monde analogique de nos enfants de telle sorte qu’elles soient aussi attractives que le monde virtuel !

L’âgisme est partout… Nous ne le voyons pas, car nous y sommes totalement habitués… Par exemple, s’il y a des gros mots, des mots trop laids pour être prononcés par les enfants, alors ils sont aussi trop laids pour les adultes. Car la phrase « Ce n’est pas un mot pour les enfants » leur fait l’effet d’une discrimination. Qu’en serait-il si je disais que les femmes ne doivent pas prononcer certains jurons ?

On ne s’enthousiasme pour les « mauvaises choses » que lorsqu’elles sont plus engageantes et plus gratifiantes que les « bonnes » …

Devoir faire des efforts, c’est comme avoir besoin d’un bon appétit pour manger : c’est que le repas n’est pas bon ou qu’il n’est pas servi au moment opportun. Quand les choses nous enthousiasment, nous n’avons pas besoin de faire d’efforts ! Devoir faire des progrès, c’est apprendre à considérer l’état actuel comme inférieur à celui qui vient après. C’est commencer à vouloir devenir plutôt qu’à être. C’est se mettre à rêver de quitter sa condition actuelle, puisqu’elle est moins satisfaisante que la suivante. C’est s’engager sur le chemin de l’espoir que l’herbe soit plus verte en face. Et en face… Et en face…

 

N’y a-t-il pas danger qu’un enfant se mette à s’enthousiasmer pour plein de choses, sans jamais « aller au bout » ?

Impossible de se « disperser » en plusieurs enthousiasmes : en nous, il n’y en a qu’un. Il peut se focaliser sur plusieurs sujets conjointement, ou passer de l’un à l’autre. C’est ce que vivent les enfants, qui, sans jamais réduire le flot de leur enthousiasme, se laissent porter d’un sujet à l’autre, au gré des rencontres mais surtout des connexions entre les sujets. Enfant, je suis passé du compositeur tchèque Antonin Dvořák à son ami et maître spirituel Johannes Brahms. Brahms ayant passé du temps à Thun en Suisse, j’ai exploré cette ville à l’occasion d’un voyage, et cela nous conduisit à Meiringen, avec son téléphérique géant qui m’a occupé pendant longtemps, d’autant plus qu’il menait à un autre téléphérique, plus petit, dont je pus observer l’immense roue horizontale, le câble et le complexe système d’amarrage et de libération des cabines. Je me suis demandé quel diamètre et quelle tension devaient avoir ce câble, et quelle puissance devait fournir la roue… et quelle est la différence entre la puissance et le couple ? Et qu’est-ce qu’un cheval-vapeur, exactement ? A-t-il réellement quelque chose à voir avec un cheval ?

Aujourd’hui, plusieurs décennies plus tard, Antonin Dvořák reste l’un des plus importants de « mes » musiciens (notre fils aîné porte son prénom). Je connais encore chacune de ses œuvres et les détails de sa biographie et je n’ai pas non plus oublié ce que représentent un cheval-vapeur et la capacité à soulever 75 kilogrammes sur un mètre en une seconde… J’ai d’ailleurs trouvé cette formule originelle dans le Petit Larousse illustré rose de ma maman, un outil complexe donnant l’impression qu’il contenait l’univers entier entre ses feuillets fins comme du papier à cigarette. Ce dictionnaire a été primordial dans grand nombre de mes intérêts, souvent comme première approche, et généralement au prix d’une intense concentration et d’une grande ténacité, car la concision du texte demandait un gros effort de réflexion, de visualisation et, fréquemment, de métaphorisation. J’ai appris à m’en servir presque par hasard, en voyant Maman chercher un mot de manière alphabétique, tournant les pages les unes après les autres. À l’époque, je savais lire à l’envers et, assis en face d’elle, je voyais défiler les mots et les illustrations et j’avais envie de lui demander de me laisser le temps de tout lire, de tout regarder. Mais je continuais à l’observer, tandis qu’elle s’approchait de plus en plus du mot qu’elle recherchait, puis comme elle le lisait en acquiesçant de la tête… refermait et reposait le dictionnaire… J’appris ainsi qu’on pouvait l’utiliser pour trouver l’explication extrêmement précise d’un mot. Ensuite, l’ayant pris à mon tour, je confirmais que l’on peut, également, le lire page après page (on y découvre la corrélation entre les mots) ou en « surfant » de mot en mot : de cheval-vapeur à vapeur, de vapeur à gaz, de gaz à solide, de solide à sublimation, de sublimation à liquide, de liquide à état de la matière, de matière à molécule, de molécule à atome, d’atome à gravitation, de gravitation à Newton, de Newton à Einstein, d’Einstein à la guerre de 1914-1918… le tout dans un unique flot d’enthousiasme, donc d’activation des centres émotionnels.

Notons que le flot de l’enthousiasme, qui peut durer de quelques heures à quelques jours, suffit à collecter (et à retenir pour toujours) une bien plus grande quantité d’informations sur un sujet qu’une année entière de répétitions et de leçons hebdomadaires subies et non choisies (ce qui, rappelons-le, conduit à l’oubli des informations et, bien trop souvent, à une relation traumatique avec le sujet).

L’enfant va donc toujours au bout de ce que peut lui apporter sur le moment un sujet. Il ne papillonne pas, il agit comme un chasseur-cueilleur au sein de la luxuriante forêt de son enthousiasme. Cependant, l’information restant vivace, l’enfant revient souvent, généralement par le biais d’une autre connexion – une sensation fascinante de la cohésion du monde –, vers un sujet qu’il a abordé précédemment, élargissant encore à chaque approche le filet à croissance tridimensionnelle de ses connaissances.

Ne pas « aller au bout » est une maladie caractéristique de ceux dont on a dérouté l’enthousiasme. Ils ont fait l’expérience du manque de pertinence de leurs centres d’intérêt par rapport aux priorités d’un programme auquel ils se sont totalement habitués – bien qu’au début, ce dernier leur soit, dans bien des cas, apparu comme arbitrairement établi, sans tenir compte de leurs penchants, rythmes et rituels individuels.

Il est d’ailleurs frappant de constater que ceux qui mettent en garde contre le danger de « dispersement » des enfants livrés à leur enthousiasme sont précisément les tenants d’un système éducatif qui se contente d’une culture composée des bandes-annonces d’une kyrielle de sujets censés définir le « socle commun ». C’est-à-dire, justement, le morcellement de l’attention et l’entraînement au service minimum.

Professeure de danse au petit garçon de trois ans assis au milieu des petites élèves : « Tu vois, le cours est pour les grands. » Petit garçon, avec conviction : « Je suis grand ! » Professeure, amusée : « C’est vrai. Mais tu vois, le cours est pour les filles. » Petit garçon, sans hésiter : « Je suis une fille ! »

 

 🌟 Et si l’enthousiasme était la clé de tout ? Dans ce livre lumineux, André Stern explore l’enthousiasme, ce moteur inné que nous portons tous en nous depuis la naissance. Contrairement à une vision figée de l’intelligence dictée par les gènes, l’auteur met en lumière le rôle transformateur de l’épigénétique et de nos expériences. Le cerveau humain, explique-t-il, ne se développe pas comme un muscle, mais grâce à une stimulation émotionnelle intense – autrement dit, par l’enthousiasme.

Dès l’enfance, ce feu sacré s’active à chaque découverte. Un enfant n’a pas besoin d’apprendre la tolérance ou d’être forcé à travailler : il s’enthousiasme naturellement pour ce qui l’entoure, des chiffres d’une plaque d’immatriculation aux lettres sur un panneau. Ce cocktail d’émotions génère des substances neuroplastiques qui renforcent les réseaux neuronaux. L’enthousiasme n’est pas un luxe réservé à l’enfance. À 85 ans, vous pourriez apprendre le chinois en six mois… si vous étiez passionné !

Stern déconstruit également l’idée que l’autonomie résulte de la séparation. En réalité, un attachement profond à une figure aimante nourrit la confiance nécessaire pour explorer le monde. Jouer, pour un enfant, n’est pas une distraction : c’est une immersion totale dans un monde où imaginaire et réalité se confondent, libérant une créativité illimitée.

Enfin, ce livre rappelle que nous ne perdons jamais notre capacité à être enthousiastes. Nous avons simplement oublié de l’entretenir. Stern nous invite à redécouvrir ce trésor, à transformer notre quotidien et à retrouver l’émerveillement dans chaque petite chose. ❤️

Un livre à lire absolument pour réveiller l’enfant curieux et joyeux en chacun de nous !

Vous trouverez ce livre sur le site Place des Libraires en identifiant une librairie près de chez vous, ou sur le site de la FNAC.

Les extraits que je vous partage sont ceux qui m’ont parlé lors de la lecture du livre.

Aussi, je vous encourage à acheter ce livre car vous y trouverez sûrement d’autres parties qui vous inspireront.

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