Les effets « secondaires » de l’enthousiasme
Lorsqu’il nous est donné de vivre pleinement notre enthousiasme, nous devenons non seulement capables des plus grands efforts, des plus grands courages et des plus indéfectibles constances, mais nous devenons également de véritables éponges. Plus exactement, nous nous mettons à avoir un effet magnétique sur tout fragment d’information qui passe à proximité. Cela me rappelle le processus d’accrétion, au commencement de la vie d’une planète. Dans un infini nuage d’informations des plus hétéroclites, les mouvements de l’esprit amènent certaines d’entre elles à s’assembler, formant un premier grumeau de savoir, que l’on pourrait nommer intérêt ou attention. C’est le moment typique où, par exemple, une femme enceinte fait le constat nouveau que le monde entier est plein de femmes enceintes. C’est le moment où, ayant tout juste découvert un mot dont nous ignorions jusqu’ici l’existence même, nous constatons que nos proches semblent faire exprès de l’utiliser plusieurs fois par jour.
Ce grumeau, par la focalisation spécifique de notre attention (qui agit comme la gravitation), attire à lui toute particule d’information susceptible de le compléter. L’assemblage gagne en volume, donc en complexité, donc en force d’attraction, donc en diversité de points par lesquels les informations peuvent être aimantées. Autrement dit, plus nous assemblons et rassemblons d’informations autour d’un intérêt initial, plus nos connaissances à son sujet s’élargissent, et plus les ponts que cela crée vers d’autres domaines, d’autres connaissances – toutes connectées au « grumeau » originel – se multiplient et se diversifient, attirant donc de plus en plus d’informations…
Comme nous l’avons vu plus haut, lorsque ce processus est personnel et mis en branle par notre enthousiasme, chacune de ces informations nous intéresse, nous touche et active nos centres émotionnels. Rappelons-nous qu’une information corrélée à une émotion s’ancre dans notre cerveau. Pour poursuivre la métaphore, la cohérence des éléments de notre assemblage grandissant, le fait qu’il ne se disloque pas en mille morceaux d’oubli (après l’examen), mais, au contraire, semble se consolider, est assurée par l’émotion.
Notons que ce processus d’accrétion est d’autant plus efficace qu’il a lieu dans la continuité. Si notre attention est continuellement déportée vers d’autres domaines, le processus est contrarié. Dans certains cas, il peut s’en trouver stoppé.
Lorsque, ayant éprouvé un véritable coup de foudre en rencontrant la langue allemande, j’ai pu me consacrer jusqu’à six heures par jour – absolument sans m’en rendre compte et sans avoir décidé de « mettre les bouchées doubles » – à son apprentissage, personne n’est venu, au bout de quarante-cinq minutes, m’interrompre en me disant que c’était l’heure de passer aux mathématiques ou à la géographie. Je n’ai pas eu besoin d’ajourner mon processus d’accrétion, d’attendre le soir, ou la récréation, ou le week-end. Je n’ai pas eu à souhaiter qu’une autre activité, probablement intéressante si elle ne m’avait pas empêché de me consacrer à ce qui m’intéressait vraiment, soit enfin terminée pour pouvoir revenir à celle qui m’enthousiasmait. Bien évidemment, lorsqu’il y a enthousiasme, et s’il est impossible de faire autrement, nous y arrivons aussi par petits bouts. Tout comme lorsqu’un livre nous passionne, nous arrivons à le lire par petits fragments de quelques minutes, que nous recollons sans perdre le fil. Cela m’est arrivé récemment lors d’un Salon du livre plein de gens désireux de contacts, de rencontres et d’échanges. J’aimais être avec eux, mais je saisissais chaque occasion pour lire quelques lignes de cette histoire dont j’avais hâte de connaître la suite, car elle racontait un bout de la vie de Sabryna et Richard, des personnes qui me sont chères, un livre qui m’avait captivé. Me cachant derrière un rideau pour lire cinq phrases, trouvant toutes sortes de mini-occasions d’absorber une ligne par-ci, un paragraphe par-là, en attendant de recevoir mon plat ou en marchant vers « mon » stand, j’ai bien évidemment vécu les premiers chapitres de l’histoire sans trop perdre de leur cohérence ni altérer mon enthousiasme…
Mais il n’en demeure pas moins que plonger dans cette lecture aurait été plus simple par un après-midi paisible, assis dans une chaise longue à l’ombre d’une journée d’été, sans limite de temps ou d’espace. Il en va de même pour tous nos enthousiasmes. Ou ceux de nos enfants.
C’est ainsi qu’à force de grandir, notre grumeau de connaissances devient un monde immense, générant un effet secondaire logique : une profonde compétence.
La véritable compétence, personnelle, sincère, ancrée dans le quotidien, n’est donc rien d’autre que l’effet secondaire de l’enthousiasme !
Cette compétence – que certains qualifient de seconde nature – possède elle-même un effet secondaire tout aussi spectaculaire. Lorsque vous connaissez votre sujet avec l’intensité et la véracité que vous confère l’enthousiasme, il se présente toujours une situation dans laquelle quelqu’un a besoin de votre compétence. C’est le moment où cette dernière prend le pas sur la qualification, pourtant érigée en veau d’or de notre société. On cherche à nous faire croire qu’une qualification est indispensable, alors que dans la vraie vie, c’est la compétence qui est très généralement demandée. Je n’ai encore jamais vu une personne souffrant d’une rage de dents débarquer chez un dentiste qui lui a été chaudement recommandé en disant : « Ne me touchez pas avant de m’avoir montré votre diplôme ! »
La véritable compétence n’est donc rien d’autre que l’effet secondaire de l’enthousiasme !
L’Histoire avec un grand H (« acHhhh ! ») fourmille des petites histoires de toutes ces personnes qui exercent avec génie des métiers qui n’ont plus rien à voir avec leurs études et leurs qualifications, auxquelles on fait des ponts d’or vers des entreprises prestigieuses alors qu’elles n’ont aucun diplôme mais une expertise indispensable, ou qui s’avèrent bien plus compétentes et bien plus à même d’apporter les solutions nécessaires que leurs collègues diplômés.
L’effet secondaire de la compétence est donc la réussite. La sacro-sainte réussite professionnelle et sociale, vendue comme un idéal digne de tous les sacrifices, s’avère être le simple effet secondaire de l’effet secondaire de l’enthousiasme.
Bien évidemment, il y a certains postes pour lesquels, dans certains cas, une qualification est incontournable. Je n’ai vécu qu’un seul examen avec qualification à la clef : celui du permis de conduire. Et cela ne m’a posé aucun problème, car j’étais, là aussi, porté par l’enthousiasme et prêt à prendre en compte les étapes, procédures et épreuves diverses dont le parcours officiel allait être balisé. Je n’en ai pas souffert puisqu’elles étaient choisies, je n’y ai pas étalonné ma personne puisqu’elles n’étaient rien d’autre à mes yeux qu’un passage nécessaire. J’avais choisi d’avoir mon permis de conduire et de mettre en œuvre les moyens de l’obtenir. Je ne me suis jamais demandé si je réussirais mon examen ou non. Et si demain, je décidais de devenir médecin selon le cheminement académique, rien ne m’empêcherait de commencer ce jeu de l’oie par la première case. Je me plierais à l’exercice des innombrables examens à venir et passerais toutes les épreuves nécessaires pour « y arriver » sans jamais perdre mon cap – car je ne serais ni le premier, ni le dernier à réussir brillamment ce genre de parcours, assis sur les ailes magiques de l’enthousiasme.
Un jour, au cours d’une recherche sur Internet, j’ai découvert un forum de discussions consacré à la guitare. M’y sentant tout de suite dans mon élément, j’y pris place sans hésiter. En plus du plaisir de communiquer publiquement et d’écrire au sujet de mon instrument bien-aimé, je découvris celui d’apporter une aide concrète et désintéressée à toutes sortes de guitaristes passionnés, venus de tous les horizons.
Pendant trois mois, je m’appliquai à répondre à toutes leurs questions, à peaufiner la forme et le fond de chacune de mes contributions, tâchant de ne jamais m’écarter de la rigueur, de la clarté et de l’absence d’a priori dont mon maître luthier, Werner Schär, m’avait donné l’exemple. Je passai des heures à réfléchir à chaque idée, à polir chaque texte, à préparer, à insérer et à commenter des illustrations spécifiques.
L’équipe de modération remarqua assez vite mon travail. Trois mois après mon entrée dans cette communauté, je reçus un courrier de Didier, le rédacteur en chef du magazine associé au forum. Il me proposait de travailler dans son équipe. De manière inattendue, un rêve d’enfance devenait réalité. J’acceptai avec enthousiasme et rédigeai quelques articles pour les numéros suivants du magazine.
Je n’avais et n’eus jamais aucune ambition d’avancement. Mais quelques mois plus tard, je fus invité à entrer officiellement au comité de rédaction du magazine. Le travail amorcé sur le forum trouvait, ainsi, une continuité toute naturelle, un rythme précis et régulier. Abolir le racisme entre les familles de guitares, abattre les cloisons entre les débutants et les avancés, lancer des ponts entre les générations, permettre aux amateurs et aux professionnels de profiter les uns des autres, faire tomber le voile de certains secrets de Polichinelle… tel fut mon travail.
Et lorsque Didier devint directeur de l’entreprise, il me nomma rédacteur en chef. Il connaissait parfaitement ma manière de travailler et ne me demanda ni curriculum vitae, ni qualification, car ma compétence dans les domaines requis – j’ose l’appeler ainsi parce qu’elle n’est en rien un mérite personnel mais un simple effet secondaire de mon enthousiasme, lequel est le même chez chacun – était une évidence à ses yeux.
L’enthousiasme qui porte l’accouchement agit bien au-delà par Benoît Le Goëdec
Benoît Le Goëdec est père de cinq enfants, sage-femme, formateur, président du Conseil interrégional de l’Ordre des sages-femmes, Servant du Jeu de Peindre, titulaire d’un master en philosophie et l’auteur de plusieurs ouvrages sur la grossesse et la naissance. Mes fils sont nés entre ses mains.
L’accouchement est un acte naturel. Il est néanmoins décrit depuis toujours comme une épreuve, pour et par les femmes. Une épreuve initiatique, s’il en est. Les textes anciens disent même qu’à l’origine du monde, il y avait sept étoiles dans le ciel et que, par leur manque de vertu, les hommes en ont fait disparaître deux. Ils doivent les retrouver en eux, dans leur chemin de vie, pour s’ouvrir à la sagesse. La grossesse est, pour la femme, par le regard que cela lui permet de porter sur elle-même, la possibilité d’en retrouver une.
Face à l’épreuve du corps en travail, à la douleur qui l’accompagne, face aux mouvements du cœur traversé par toutes les grandes émotions, lorsque la femme qui accouche doit faire le grand saut vers l’infini, face aux mouvements de l’esprit liés au bouleversement de toute la filiation, à une transparence psychique et culturelle, la femme qui accouche doit être disponible à elle-même, à l’écoute de ce qui émane d’elle comme une nécessité échappant à l’analyse et à la raison, de façon universelle et depuis toujours. Il y a quelque chose de la Formulation d’Arno Stern chez celle qui accouche.
Quand elle est sécurisée affectivement, quand il y a autour d’elle plus d’amour que de peur, alors la femme qui accouche peut libérer, laisser jaillir l’enthousiasme lié à la naissance ; elle reprend ainsi le fil de sa propre histoire, la possibilité de savoir qui elle est, d’accueillir le nouveau-né qui renouvelle le monde dans son premier cri.
L’enthousiasme permet de ne pas s’opposer aux phénomènes hormonaux et énergétiques. Si le déterminisme du travail reste encore un mystère – malgré de nombreux travaux sur le sujet, nous ne savons ni quand, ni pourquoi l’accouchement commence –, nous savons en revanche qu’une fois que le travail se met en place, l’ocytocine est sécrétée et va agir vers sa cible : l’utérus. Et alors, le processus ne s’arrêtera plus. Il se fait en elle, mais n’appartient plus à la femme. La puissance de celle-ci se trouve dans l’acquiescement et l’abandon au rythme du travail. La culture de la pathologie, entretenue par les tenants de la science médicale, leur logique de gestion du risque – logique qui domine au détriment de l’accompagnement à la confiance en soi – bloquent souvent l’enthousiasme de la femme qui accouche. Or, la sécrétion d’adrénaline, résultant de la création des peurs, entraîne un ralentissement du travail, qui entraîne à son tour une réponse par médication et devient générateur de pathologie. L’adrénaline est un puissant antagoniste à l’effet de l’ocytocine. Il faut de l’empathie, de la compassion autour de la femme qui donne naissance, pour qu’elle puisse laisser faire. Il lui faut du sens plus que des causes. L’enthousiasme, le sourire qui émerge alors dans le cœur et dans l’âme permet de franchir ou de contourner les obstacles, mais aussi d’appeler à l’aide quand il n’est plus possible de tenter seule l’aventure, sans jamais que cette aventure soit réduite aux moyens pour y arriver, mais qu’elle soit toujours tendue vers l’objectif désiré, celui qui fait sens, celui qui nourrit les besoins liés aux valeurs qu’il représente.
Par l’enthousiasme, la femme n’est plus, à l’accouchement, réduite à l’organe avec comme définition de la physiologie, le silence de son bon fonctionnement et son universalité. Par l’enthousiasme qui explose, qui jaillit, elle rend visible l’intérieur, elle se distingue de la matière, et l’universalité qu’elle approche est, cette fois, celle de l’humanité tout entière.
Elle ne vit pas la physiologie comme une norme figée telle que la définissent les sages-femmes ou les médecins, mais comme la vie en mouvement, la vie qui se transforme. La femme enceinte, la femme qui donne naissance dépasse toutes les normes, crée du nouveau, vit le commencement. Elle est ailleurs et évolue sur des sens cognitifs, en lien avec son identité profonde, sur ce qu’elle est et ce qu’elle devient. Elle est créative et vit dans une logique dynamique entre l’action et ce qu’elle est. La physiologie qu’elle vit est transformation, étonnement, accroissement de la vie. De fait, la femme enceinte ou qui accouche évolue dans l’espace du non-savoir, qui existe au plus précis de la médecine. Et c’est ainsi que la contingence reste possible pour aller ailleurs, dans l’espace personnel ouvert. Et bien que l’évènement ne soit ni simple, ni facile, ni rapide, il est alors forcément possible.
En misant sur la surprise, sur l’enthousiasme, il y a possibilité de rencontre, de création, d’inventivité, en assumant le maintien des inattendus, en ouvrant à sa propre solution.
Les soignants eux-mêmes développent, face à l’enthousiasme que la femme – accompagnée de son conjoint – rend visible, un enthousiasme qui leur permet, à leur tour, de ne pas venir avec leurs seuls déterminismes et de modifier leur regard clinique.
L’enthousiasme devient alors un moteur d’intention. Il mobilise des ressources insoupçonnées permettant d’aller vers le lieu sûr, l’autre rive, là où il fait bon vivre, alors que personne ne connaît ni la profondeur de l’eau ni la force du courant du gué à traverser.
Toutes les études sur les épisodes dépressifs post-partum le montrent : il existe parfois des facteurs de vulnérabilité (précarité, violence conjugale, etc.), mais le seul dénominateur commun à tous ces épisodes est qu’ils sont, quelles que soient les circonstances, liés à un mauvais vécu de la grossesse et/ou de l’accouchement.
Grâce à un accompagnement sécurisant, respectueux, empathique, grâce à cet accompagnement qui permet, par l’enthousiasme, d’être en pleine conscience de ce qui se vit à chaque instant, l’angoisse sans question de la naissance trouve sa valeur absolue dans l’éclat de joie de la rencontre avec le nouveau-né.
Alors, l’enthousiasme protège, bien au-delà du simple moment où il s’est exprimé.
🌟 Et si l’enthousiasme était la clé de tout ? Dans ce livre lumineux, André Stern explore l’enthousiasme, ce moteur inné que nous portons tous en nous depuis la naissance. Contrairement à une vision figée de l’intelligence dictée par les gènes, l’auteur met en lumière le rôle transformateur de l’épigénétique et de nos expériences. Le cerveau humain, explique-t-il, ne se développe pas comme un muscle, mais grâce à une stimulation émotionnelle intense – autrement dit, par l’enthousiasme.
Dès l’enfance, ce feu sacré s’active à chaque découverte. Un enfant n’a pas besoin d’apprendre la tolérance ou d’être forcé à travailler : il s’enthousiasme naturellement pour ce qui l’entoure, des chiffres d’une plaque d’immatriculation aux lettres sur un panneau. Ce cocktail d’émotions génère des substances neuroplastiques qui renforcent les réseaux neuronaux. L’enthousiasme n’est pas un luxe réservé à l’enfance. À 85 ans, vous pourriez apprendre le chinois en six mois… si vous étiez passionné !
Stern déconstruit également l’idée que l’autonomie résulte de la séparation. En réalité, un attachement profond à une figure aimante nourrit la confiance nécessaire pour explorer le monde. Jouer, pour un enfant, n’est pas une distraction : c’est une immersion totale dans un monde où imaginaire et réalité se confondent, libérant une créativité illimitée.
Enfin, ce livre rappelle que nous ne perdons jamais notre capacité à être enthousiastes. Nous avons simplement oublié de l’entretenir. Stern nous invite à redécouvrir ce trésor, à transformer notre quotidien et à retrouver l’émerveillement dans chaque petite chose. ❤️
Un livre à lire absolument pour réveiller l’enfant curieux et joyeux en chacun de nous !
Vous trouverez ce livre sur le site Place des Libraires en identifiant une librairie près de chez vous, ou sur le site de la FNAC.
Les extraits que je vous partage sont ceux qui m’ont parlé lors de la lecture du livre.
Aussi, je vous encourage à acheter ce livre car vous y trouverez sûrement d’autres parties qui vous inspireront.