Chapitre 18 – Leadership, leçon 2 : tel leader, telle culture
Moi avant toi. Moi avant nous.
Il voulait diriger. Il voulait être leader. Et personne ne l’en empêcherait… pas même le leader en place. Ainsi Saddam Hussein prit-il le pouvoir en Irak. Avant même d’y parvenir, il avait forgé des alliances stratégiques pour renforcer sa position et favoriser sa propre ascension. Et une fois au pouvoir, il distribua largement richesses et situations à ses alliés afin de s’assurer leur « loyauté ». Il disait être du côté du peuple. Mais il ne l’était pas. Il était là pour lui-même, pour la gloire, le renom, le pouvoir et la fortune. Et s’il promettait de servir, c’était dans le cadre d’une stratégie visant à prendre.
Le problème de tels changements de régime est qu’ils suscitent une culture de défiance et de paranoïa. Il se peut que les choses fonctionnent tant que le dictateur est au pouvoir, mais son éviction prélude à des années d’instabilité pour le pays entier. Cela n’arrive pas seulement dans les régimes autoritaires de pays instables ou dans les complots de séries télévisées. Trop souvent, les grandes entreprises modernes vivent des scénarios analogues. L’ascension de Stanley O’Neal chez Merrill Lynch en 2001 en est un exemple parmi d’autres.
Né au cœur du baby-boom à Wedowee, une petite ville de l’est de l’Alabama, O’Neal, petit-fils d’un ancien esclave, put étudier à la Harvard Business School grâce à une bourse de General Motors. Entré ensuite chez GM, il fit rapidement carrière au sein du service de trésorerie. Mais il aspirait à un destin plus ambitieux. Aussi, quoique dépourvu d’expérience et de véritable intérêt pour les activités de courtage, il opta pour Wall Street. O’Neal, l’un des rares Afro-américains parvenus aux plus hauts postes du secteur bancaire, aurait pu ainsi devenir l’un des grands leaders de notre époque, un symbole de ce qui est possible en Amérique. Mais il choisit une voie différente.
En 1986, il entra chez Merrill Lynch où il se hissa en quelques années à la tête de la division junk bonds (qui, sous sa direction, allait devenir le plus gros opérateur du secteur après l’inculpation de Michael Milken, de Drexel Burnham Lambert, pour fraude sur valeurs mobilières en 1990). Après un passage à la direction de l’énorme division courtage de Merrill, il devint enfin directeur général financier de la société. Quand la bulle de l’internet éclata, à la fin des années 1990, il s’empressa de licencier des milliers de salariés. Son audace impressionna son patron, le PDG d’alors, David Komansky, et assit sa réputation grandissante de manager impitoyable. Mi-2001, après s’être débarrassé de plusieurs autres prétendants et avec le soutien de Komansky, O’Neal devint président de la compagnie. Mais il voulait davantage.
Il voulait débarrasser Merrill Lynch de sa culture centrée sur le personnel, en laquelle il voyait un obstacle. Merrill Lynch, « Mother Merrill » comme on l’appelle affectueusement en souvenir d’une époque où sa culture était davantage humaine et équilibrée, était une entreprise où il faisait bon travailler. Mais O’Neal ne faisait pas mystère de son mépris pour cette culture, trop molle et floue à ses yeux, qui faisait obstacle à ses intentions. Son désir n’était pas de nourrir une culture d’entreprise saine. Les affaires, c’est de la compétitivité un point c’est tout ; il créa donc une atmosphère de compétition. Dans cette culture à sa main, les gens ne se contentaient pas de faire une concurrence furieuse à ceux du dehors. Ils se livraient à une concurrence intense les uns contre les autres.
Dans une organisation, répétons-le, le ton est toujours fixé par le leader, or le ton fixé par O’Neal était de se mettre soi-même devant les autres. Le 11 septembre affecta Merrill profondément : trois salariés furent tués et des centaines blessés. Cela n’empêcha pas O’Neal de licencier des milliers de personnes et de fermer des bureaux, comme ailleurs à Wall Street, au cours des douze mois de perturbation psychologique qui suivirent la tragédie.
Une fois ses rivaux marginalisés, en 2002, O’Neal joua le coup final de sa partie d’échecs : le conseil d’administration de Merrill imposa une retraite anticipée à son vieil ami Komansky et le nomma lui-même PDG. Avec le départ du sociable Komansky, la transformation culturelle était presque complète. Sans être un homme parfait, Komansky allait parfois déjeuner au restaurant d’entreprise avec les autres salariés. O’Neal n’en avait cure. Un ascenseur privé le menait à son bureau du trente et unième étage. Les salariés avaient instruction de ne pas s’adresser à lui dans les couloirs et de passer au large s’ils venaient à le croiser. Le week-end, O’Neal, qui n’était pas du genre à laisser se perdre un petit avantage, utilisait le jet privé de l’entreprise pour rejoindre sa villa de Martha’s Vineyard.
Qu’un leader nous inspire et nous cherchons à accomplir sa vision ; qu’un dictateur veuille nous régenter et nous cherchons à la contrer. Une fois la confiance évaporée, il n’est pas surprenant que le plus grand danger, pour O’Neal comme pour tout dictateur, soit venu de l’intérieur. Dans un Cercle de sûreté, répondant naturellement à la protection qu’il leur offre, les gens font en sorte de protéger leur leader. Chez Merrill, du temps de O’Neal, il n’en fut rien. En coulisses, des collaborateurs directs commencèrent à le dénigrer en secret auprès du conseil d’administration. O’Neal en eut vent et s’empressa de faire le ménage autour de lui. En peu de temps, il allait s’isoler complètement dans sa tour d’ivoire, laissant la culture de Merrill en proie à l’intoxication par la dopamine ainsi qu’à la crainte et à la paranoïa dues au cortisol. Les jours de « Mother Merrill » étaient révolus depuis longtemps.
À l’époque, les dirigeants de la firme s’intéressaient surtout à la création des obligations à haut risque qui allaient provoquer l’envolée puis l’effondrement du marché hypothécaire. Faut-il s’étonner que la société n’ait pas su prévenir les problèmes qui allaient l’abattre ? À l’été 2006, O’Neal fut prévenu par le directeur des investissements, Jeff Kronthal, des risques qui s’accumulaient. Au lieu de travailler avec lui ou de mettre en œuvre des mesures de protection pour le bien de l’entreprise, il le limogea. Convaincu qu’il serait seul capable de gérer les problèmes annoncés, il resserra son emprise pour tout contrôler.
En octobre 2007, la société annonça avoir perdu plus de 2,2 milliards de dollars au troisième trimestre et provisionné 8,4 milliards de dollars de pertes sur des placements hasardeux. Le règne d’O’Neal connut une fin abrupte et sans gloire. Il avait réussi successivement à se couper de ses salariés puis de son conseil d’administration ; pour couronner le tout, il avait décidé d’approcher Wachovia pour parler fusion sans en avoir d’abord discuté avec ses administrateurs. Les soutiens sur lesquels il avait pu compter avaient disparu. Que pouvait valoir sa puissance ? O’Neal quitta Merrill Lynch en disgrâce, muni d’indemnités d’une valeur supérieure à 160 millions de dollars.
Il est paradoxal de voir des PDG partisans de l’intéressement aux résultats au sein de leur entreprise réclamer d’énormes sommes quand ils abandonnent un terrain ravagé. Pourquoi les actionnaires et les conseils d’administrations ne prévoient-ils pas dans les contrats une clause d’interdiction de toute indemnité pour un PDG qui quitterait l’entreprise en disgrâce ? Ne serait-ce pas au moins cohérent et conforme aux intérêts de l’entreprise et de ses actionnaires ? Mais je m’écarte du sujet.
O’Neal incarnait une version extrême du raisonnement qui s’était emparé de Wall Street et qui finit par causer sa chute. Il s’était coupé des gens qu’il dirigeait et avait aggravé la situation en stimulant si efficacement la compétition interne que, assez naturellement, ceux qui avaient un jour fait partie de son équipe se retournèrent contre lui. Comme je l’ai déjà montré, le problème n’est pas en soi la manière dont une entreprise conduit ses affaires. Le problème réside dans la qualité des relations au sein de l’organisation – à commencer par son leader.
Plus un leader concentre son attention sur sa propre fortune ou son propre pouvoir, moins il agit en leader et plus il commence à ressembler à un tyran. Dans un article remarquable sur Saddam Hussein, Mark Bowden montre qu’un tyran « ne vit que pour préserver ses richesses et son pouvoir ». Et c’est bien le problème. « Le pouvoir coupe graduellement le tyran du reste du monde », explique Bowden. Nous savons déjà que la distanciation conduit à l’abstraction, et la paranoïa ne tarde pas à suivre. Aux yeux du tyran, le monde qui l’entoure est hostile, ce qui ne fait que l’inciter à se couper du peuple encore davantage. Il instaure des contrôles de plus en plus rigides autour de son premier cercle. Et son isolement croissant nuit à l’organisation.
À défaut d’une hiérarchie bienveillante, ceux qui se trouvent à l’intérieur de l’organisation sont moins enclins à coopérer. Au contraire, le meilleur moyen de progresser devient désormais la compétition, les uns contre les autres. Dès lors, au lieu de félicitations, les succès individuels susciteront la jalousie des autres membres du groupe. Si le leader est foncièrement mauvais ou que les salariés pensent n’avoir aucune chance d’entrer dans son premier cercle, les germes de la rébellion apparaîtront. Mais s’il existe une possibilité d’entrer dans le cercle, ou si au contraire nous ne sommes pas certains d’en être exclus, nous nous sentons presque paralysés. C’est le frémissement dans l’herbe, la peur de ce qui rôde peut-être, qui déclenche un flux de cortisol dans notre circulation sanguine. Et sous l’effet du cortisol, nous devenons aussi paranoïaques et focalisés sur notre propre préservation que le leader isolé au-dessus de nous. C’est ce que O’Neal a fait chez Merrill. Il a transformé en culture d’incertitude une culture qui offrait la certitude d’une protection. Comme en Irak, l’entreprise s’est trouvée privée de fondations solides. Elle n’avait plus assez de confiance pour continuer.
L’ascension et la chute de O’Neal ne racontent pas seulement comment l’ambition d’un homme peut mettre à bas une entreprise. En fin de compte, ces conditions sont néfastes pour tout et tout le monde. Tout ce contrôle concentré au sommet ne peut mener qu’à un résultat : l’effondrement final.
Le vrai pouvoir
David Marquet était sous-marinier de carrière. Sorti de l’Académie navale parmi les premiers de sa promotion, c’est un homme très intelligent. Ce qui contribue à expliquer sa progression hiérarchique dans la US Navy. Connaissant les bonnes réponses, il savait donner les bonnes instructions et les bons ordres. Il était le leader parce qu’il était aux commandes – du moins était-ce ce qu’on lui avait enseigné.
La marine nationale des États-Unis, comme beaucoup d’organisations, récompense les éléments intelligents et soucieux d’efficacité par des honneurs et des promotions. Le capitaine Marquet avait donc été honoré et promu. Au point d’obtenir l’un des principaux honneurs à la portée d’un officier de marine : son propre commandement. Il allait devenir le pacha de l’USS Olympia, un sous-marin nucléaire d’attaque de la classe Los Angeles. La marine américaine possède des « Boomers », énormes sous-marins porteurs et lanceurs de missiles nucléaires. Plus petits et plus agiles, les sous-marins rapides d’attaque sont conçus pour la chasse aux Boomers adverses ; s’il faut en arriver là, ils doivent les détruire avant qu’ils n’aient pu cracher leurs missiles. Un jeu du chat et de la souris élaboré se jouait sur toute l’étendue des mers du globe. Et le capitaine Marquet en était désormais l’un des acteurs clés.
Il s’était préparé à cette tâche en étudiant, une année durant, les systèmes et l’équipage de l’Olympia. Selon son habitude, il n’avait rien négligé. Il avait appris à quoi servaient tous les câbles, tous les tuyaux et tous les interrupteurs du navire. Il avait potassé les fiches du personnel pour tout connaître de son équipage. Comme beaucoup de responsables, il se disait qu’un leader crédible devait en savoir autant sinon plus que ses hommes. Étant donné l’importance et le prestige de son nouveau poste, il n’allait pas se soustraire à cette règle.
Moins de deux semaines avant la date prévue pour sa prise de commandement, le capitaine Marquet reçut un appel imprévu des hautes sphères. Les plans avaient changé. En définitive, il ne commanderait pas l’Olympia. On lui confiait à la place le commandement de l’USS Santa Fe, un sous-marin de la classe Los Angeles un peu plus récent. Mais il y avait un petit détail : l’équipage du Santa Fe se classait dernier au regard de presque tous les critères de préparation, de volonté de servir et de fidélisation en vigueur dans la Navy. Si l’Olympia était considéré comme le meilleur des meilleurs, le Santa Fe, la honte des sous-marins nucléaires, figurait en bas de tableau. Mais le capitaine Marquet était un esprit positif : il considéra le changement de programme comme un défi à relever. Comme beaucoup de hauts dirigeants à fort ego et gros cerveau, il se vit comme celui qui redresserait la barre. S’il donnait des ordres de qualité, il aurait un navire de qualité. Et s’il donnait des ordres excellents, il aurait un navire excellent. C’était son projet, en tout cas.
Le 8 janvier 1999, le capitaine Marquet traversa donc un quai de Pearl Harbor pour monter à bord de ce bateau de 2 milliards de dollars, un peu plus long qu’un terrain de football, qui hébergeait un équipage de 135 hommes. Le Santa Fe, l’un des navires les plus récents de la flotte, contenait beaucoup d’équipements différents de ceux auxquels le capitaine s’était préparé pour l’Olympia. Il arrive souvent aux personnes qui ont l’habitude de tout maîtriser d’être aveugle à leur propre ignorance. Ou pire, de chercher à la dissimuler de peur que leur autorité ne soit remise en cause. Le capitaine Marquet avait beau savoir qu’il devrait se reposer davantage sur son équipage pour combler ses manques, il le garda pour lui. Son autorité de leader reposait sur sa compétence technique ; celle-ci disparue, il craignait, comme beaucoup de leaders, de perdre le respect de son équipage.
Les vieilles habitudes ont la vie dure. Au lieu de poser des questions qui l’auraient aidé à apprendre, le capitaine Marquet se rabattit sur ce qu’il savait le mieux faire – exercer le pouvoir – et se mit à donner des ordres. Et cela parut fonctionner. Tout semblait bien se passer. L’équipage obéissait au quart de tour, à vos ordres par-ci, à vos ordres par-là. On savait qui était le patron. La sérotonine coulait dans les veines du capitaine, et il aimait cela.
Le lendemain, en mer, il décida d’effectuer un exercice d’urgence. Il fit stopper le réacteur nucléaire pour simuler une panne. Il voulait voir comment son équipage réagirait en circonstances réelles. Et pendant quelque temps, tout sembla bien se passer. L’équipage effectua tous les contrôles, prit toutes les précautions et lança le moteur électrique de secours. Beaucoup moins puissant que le réacteur nucléaire, il permettait au sous-marin d’avancer à petite vitesse.
Mais le capitaine voulait pousser davantage son équipage pour tester son attitude face à un peu de pression supplémentaire. À l’officier de pont, pilote du bâtiment et gradé le plus expérimenté du bord, il donna cette simple instruction : « En avant deux tiers. » Cela signifiait qu’il voulait que l’équipage fasse fonctionner le moteur électrique aux deux tiers de sa puissance maximale. Le navire avancerait plus vite mais épuiserait aussi la batterie plus vite, ce qui rendrait encore plus urgente la remise en service du réacteur.
L’officier de pont salua le capitaine et répéta son ordre à haute voix. « En avant deux-tiers », dit il à l’homme de barre. Et rien ne se passa. La vitesse du sous-marin ne varia pas.
Le capitaine Marquet abandonna le périscope pour regarder le marin qui aurait dû exécuter l’ordre. Le jeune matelot se tortillait sur son siège. « Timonier, gronda le capitaine, quel est le problème ? » L’autre répondit « Sir, le réglage demandé n’existe pas. » Contrairement à tous les autres sous-marins sur lesquels le capitaine avait embarqué, le tout neuf Santa Fe n’avait pas de réglage aux deux-tiers sur son moteur électrique.
Le capitaine se tourna vers le navigateur, qui se trouvait à bord depuis plus de deux ans, et lui demanda s’il était au courant de l’absence de réglage aux deux-tiers. « Oui Sir, répondit l’officier.
– Alors, pourquoi avez-vous transmis l’ordre ? demanda Marquet ébahi.
– Parce que vous me l’aviez dit », répondit l’autre.
C’est alors que le capitaine Marquet dut admettre la réalité de la situation : son équipage avait été entraîné à suivre les instructions, tandis que lui-même s’était entraîné pour un autre sous-marin. Et si tout le monde suivait aveuglément les ordres simplement parce qu’ils venaient de lui, n’importe quoi pouvait arriver. « Que se passe-t-il quand le leader se trompe dans une culture hiérarchique ? Tout le monde tombe de la falaise », écrirait-il plus tard. Pour réussir, il devrait apprendre à faire confiance aux moins gradés de ses matelots plus qu’à lui-même. Il n’avait pas le choix.
Un sous-marin nucléaire n’est pas une entreprise. Dans une entreprise, on se dit qu’en cas de problème, il suffit de remplacer le personnel ou de changer la technologie. Trop de dirigeants d’entreprise voient dans cette possibilité un avantage. Cette méthode suppose qu’on sache choisir judicieusement les personnes à renvoyer et à embaucher. Mais que se passerait-il s’il fallait diriger une entreprise comme le capitaine Marquet son sous-marin ? Pas question de rentrer au port réclamer un meilleur équipage ni un navire plus familier. Il devait relever le défi. Malgré son intelligence et ses connaissances, tout ce qu’il croyait savoir du leadership était faux. Demander à son équipage de suivre aveuglément ses ordres aurait été risquer des conséquences désastreuses. À présent, tous devaient réfléchir,
et pas seulement agir.
Donner le pouvoir à ceux qui sont les plus proches des informations
« Les gens placés au sommet ont toute l’autorité et aucune information, explique le capitaine Marquet. Ceux placés tout en bas ont toutes les informations et aucune autorité. Pour qu’une organisation fonctionne mieux, plus régulièrement et plus vite, et qu’elle atteigne son potentiel maximum, il faut que ceux qui n’ont pas d’information relâchent leur contrôle. » Mais le problème du capitaine, il le dit lui-même, était son « addiction » au pouvoir. Et l’équipage, comme dans beaucoup d’organisations où règne une conception fallacieuse de la hiérarchie, était formé à obéir. Quand, dans une organisation, peu de gens endossent la responsabilité de leurs actes, un accident finit toujours par se produire – un accident qui aurait probablement été tout à fait évitable.
On ne peut s’empêcher de repenser aux entreprises pénalisées par les décisions égoïstes de quelques individus. Qu’ils agissent de manière immorale, criminelle ou simplement contraire aux intérêts de l’organisation, ni eux ni leurs dirigeants ne semblent assumer leurs responsabilités. Ils préfèrent désigner des coupables. Les républicains blâment les démocrates pour leur inaction, et les démocrates blâment les républicains. Les sociétés de crédit hypothécaire ont reproché aux banques la déconfiture financière de 2008, que les banques ont reprochée aux sociétés de crédit hypothécaire. Réjouissons-nous que ni les unes ni les autres ne soient responsables de sous-marins nucléaires.
Le capitaine Marquet en vint à comprendre que le rôle du leader n’est pas d’aboyer des ordres et d’être totalement comptable du succès ou de l’échec de la mission. Il est de se sentir responsable du succès de tous les membres de son équipage. À lui de vérifier qu’ils sont bien formés et accomplissent leur tâche avec confiance. De leur distribuer des responsabilités et de les tenir comptables de l’avancement de la mission. Si le commandant apporte une orientation et une protection, l’équipage fera le nécessaire pour réaliser la mission. Le capitaine Marquet a décrit en détail dans un livre, Turn the Ship Around!, les mesures qu’il a adoptées – et que n’importe quelle organisation peut prendre – pour instaurer une ambiance dans laquelle ceux qui détiennent le savoir-faire, les gens qui accomplissent le travail en pratique, aient le pouvoir de prendre des décisions.
En particulier, le capitaine Marquet transforma la culture d’autorisation en culture d’intention. Il prohiba littéralement la formule « autorisation de » à bord du Santa Fe.
« Commandant, je demande l’autorisation d’immerger le navire.
– Permission accordée.
– À vos ordres. Immersion du navire. »
Cette séquence habituelle fut remplacée par la simple formule : « Commandant, je m’apprête à immerger le navire. »
La chaîne de commandement demeura intacte. La seule différence fut un basculement psychologique. La personne qui accomplit l’action est désormais propriétaire de celle-ci au lieu d’accomplir une tâche assignée. Si l’on demande au capitaine Marquet jusqu’où il pousse cette idée d’intention, il s’empresse de souligner que trois choses seulement ne peuvent être déléguées : « Je ne peux pas déléguer mes responsabilités légales. Je ne peux pas déléguer mes relations. Je ne peux pas déléguer mes connaissances. Mais tout le reste, je peux demander aux autres d’en prendre la responsabilité. »
Ce qu’il y a de si remarquable dans ce modèle et de si important dans ces trois responsabilités est que même s’il n’est pas possible de les transmettre, il est possible de les partager. Et c’est ce que font les meilleurs leaders. Ils partagent leurs connaissances, demandent aux gens qui savent de les aider à accomplir leur tâche et suscitent de nouvelles relations au sein de leur réseau en faisant des présentations. Les mauvais leaders gardent tout pour eux, croyant à tort que leur valeur tient à leur intelligence, leur rang ou leurs relations. Tel n’est pas le cas. Dans une organisation où le Cercle de sûreté est solide, non seulement le leader ne demande qu’à partager ses connaissances mais tout le monde en fait autant. Une fois de plus, le leader donne le ton.
Quand nos leaders révèlent leur ignorance et leurs erreurs, nous nous sentons plus disposés non seulement à les aider mais aussi à révéler nos propres erreurs ou nos mauvais résultats. À l’intérieur du Cercle, les erreurs ne sont pas à craindre. Dans les organisations où aucune sûreté n’est assurée, les gens sont plus enclins à cacher les erreurs ou les problèmes afin de se protéger. Malheureusement, si l’on n’y remédie pas, ceux-ci finissent souvent par s’accumuler jusqu’à apparaître au grand jour, quand leurs proportions sont telles qu’il n’est plus possible de les contenir.
Voilà ce que le capitaine Marquet fut forcé d’apprendre. Pour qu’il réoriente totalement ses priorités et son travail, il fallut qu’il se heurte à un modèle intenable, qu’il parvienne au bord de l’échec ou du désespoir, ou qu’il s’aperçoive que les gens ne pourraient jamais faire de leur mieux dans ces conditions. Il ne se laissa pas aller à un autoritarisme instinctif. En réalité, il prit grand plaisir à desserrer son étreinte et à voir les autres saisir les responsabilités qui leur étaient données. Les relations à bord du sous-marin se renforcèrent et la culture globale de confiance et de coopération s’améliora radicalement. À tel point que, sous son commandement, l’équipage du Santa Fe, naguère le plus mauvais exemple de la flotte sous-marine, devint le mieux noté de toute l’histoire de la marine des États-Unis.
« Le but d’un leader est de ne pas donner d’ordres, explique le capitaine. Les leaders doivent indiquer des orientations et une intention, puis permettre aux autres de découvrir quoi faire et comment y parvenir. » Et la plupart des organisations sont confrontées au même défi. « Nous formons les gens à obéir, pas à réfléchir », poursuit Marquet. Si les gens ne font qu’obéir, on ne peut pas compter qu’ils assument la responsabilité de leurs actes. La chaîne de commandement est faite pour les ordres, pas pour les informations. La responsabilité n’est pas de faire ce qu’on nous dit de faire : ça, c’est l’obéissance. La responsabilité consiste à faire ce qui doit être fait.
Faire passer son navire du pire au meilleur était en soi un succès limité, non déterminant pour la réussite à long terme de l’organisation qu’il servait. Comme de réussir un trimestre ou une année en ignorant la décennie. Le capitaine Marquet a fait davantage : il a instauré une ambiance dans laquelle les substances chimiques qui guident le comportement étaient plus équilibrées. Les systèmes mis en place à bord du Santa Fe récompensaient la confiance et la coopération, et pas seulement l’obéissance et l’exécution. Au fur et à mesure que les niveaux d’ocytocine et de sérotonine s’élevaient, les membres de l’équipage se sentirent davantage fiers, attentifs aux autres et soucieux de la réussite du navire. Grâce aux substances sociales, ils devinrent aussi bien plus capables de résoudre des problèmes ensemble.
À la différence du personnel de Merrill Lynch du temps de Stanley O’Neal, les marins du Santa Fe cessèrent d’attendre qu’on leur dise quoi faire et de passer leur temps à se protéger eux-mêmes ; ils se mirent à se dévouer les uns aux autres et à travailler pour le bien de l’ensemble. Au lieu de chercher à fragiliser leur capitaine, ils voulaient le rendre fier. Et tous y gagnèrent.
Le taux de réengagement des hommes passa de trois seulement l’année précédant la prise de fonction du capitaine Marquet à trentetrois (la moyenne de la US Navy est de quinze à vingt). En moyenne, sur un sous-marin, environ deux ou trois officiers finissent par accéder à leur propre commandement. Neuf des quatorze officiers servant sur le Santa Fe furent promus commandant de leur propre navire. Le Santa Fe n’a pas seulement fait des progrès, il a fait des leaders.
En physique, la puissance se définit comme un transfert d’énergie. On la mesure en watts. Plus la puissance d’une ampoule est élevée, plus il y a transformation d’électricité en lumière et en chaleur. Les organisations et leurs leaders fonctionnent exactement de la même manière. Plus le transfert d’énergie est important entre le sommet de l’organisation et ceux qui font concrètement le travail, c’est-à-dire ceux qui savent mieux ce qui se passe réellement au quotidien, plus l’organisation est puissante, et plus son leader l’est aussi.
Imagine un monde où la confiance règne, où chaque individu sait qu’il peut compter sur les autres, où la coopération n’est pas un vain mot mais une réalité palpable. C’est ce que ce livre nous invite à découvrir.
Dans un récit captivant, l’auteur nous plonge d’abord dans une nuit de combat en Afghanistan, où un pilote, Johnny Bravo, met sa vie en jeu pour protéger des soldats au sol. Pourquoi agit-il ainsi, sans y être obligé ? Parce qu’il sait qu’ils auraient fait la même chose pour lui. Ce sens du devoir, ancré dans l’empathie et le leadership, est au cœur de toute organisation qui fonctionne véritablement.
Puis, nous voici plongés dans l’univers d’une entreprise où les employés sont traités comme des numéros. Jusqu’au jour où un leader visionnaire, Bob Chapman, décide de tout changer. Plus de pointeuses, plus de barrières entre ouvriers et cadres, plus de méfiance. Résultat ? Une transformation spectaculaire où l’humain prend enfin la place qu’il mérite.
Le message est clair : nous sommes biologiquement programmés pour fonctionner en tribu, protégés par un Cercle de sûreté. Lorsque ce cercle existe, les salariés donnent le meilleur d’eux-mêmes, sans stress destructeur ni rivalité toxique. Les organisations qui l’ont compris prospèrent, tandis que les autres s’épuisent dans la peur et le contrôle.
Nous croyons parfois que la sécurité financière est plus importante que le bonheur au travail. Or, les études prouvent que le stress d’un mauvais emploi est plus nocif que le chômage. Être ignoré par son manager tue la motivation, alors qu’un simple mot d’encouragement peut tout changer.
L’auteur ne prône pas un idéalisme naïf : il s’appuie sur des faits, des chiffres et des exemples concrets. Il nous montre que les entreprises les plus performantes ne sont pas celles qui pressent leurs employés, mais celles qui les protègent. Que les grandes réussites ne viennent pas de la compétition acharnée, mais de la coopération et de la confiance mutuelle.
Dans un style fluide et percutant, ce livre bouleverse nos certitudes et nous pousse à voir le travail autrement. Que tu sois dirigeant, manager ou simple salarié, tu en ressortiras transformé. Prêt à bâtir une culture d’entreprise plus humaine, plus forte, et surtout plus pérenne. Car au final, nous ne travaillons pas pour une entreprise, mais pour les gens qui nous entourent.
Tu trouveras ce livre sur le site Place des Libraires en identifiant une librairie près de chez toi, ou sur le site de la FNAC.