Les vrais leaders se servent en dernier – Simon Sinek – L’abstraction détruit notre humanité : comprendre ses effets sur le leadership

Partie V – Le défi de l’abstrait

Chapitre 13 – L’abstraction tue

« Laissez-moi sortir de là ! hurlait-il. Je veux m’en aller ! Laissez-moi sortir ! » Enfermé dans une petite pièce sans fenêtre, il se mit à cogner sur les murs pour attirer l’attention des autres. « Vous n’avez pas le droit de me garder ici ! »

Le volontaire de permanence ce jour-là s’assit au pupitre de surveillance. Il commençait à se sentir nerveux. Il entendait les plaintes assourdies dans l’autre pièce. Il jeta un regard au responsable et, comme si ce n’était pas déjà d’une terrible évidence, il dit : « Il souffre. »

Mais le responsable ne montra aucune émotion. Rien. « L’expérience exige que vous continuiez », répondit-il seulement. Le volontaire retourna au tableau de contrôle en grommelant « Il faut continuer, il faut continuer. » Il pressa l’interrupteur et administra un nouveau choc électrique à l’étranger de la pièce d’à côté.

« Vous n’avez pas le droit de me garder ici ! » cria l’homme à nouveau. Mais personne ne lui répondit et l’expérience se poursuivit. « Laissez-moi sortir ! hurlait-il, hystérique. Mon cœur va lâcher ! Laissez-moi sortir ! » Puis soudain les cris cessèrent. Fin de l’expérience.

Dans les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale, les principaux architectes du mouvement nazi – Adolf Hitler, Heinrich Himmler et Joseph Goebbels – réussirent à échapper à la captivité en se suicidant. D’autres ne purent se soustraire à la justice. Ils furent pris et jugés pour leur rôle dans le génocide systématique commis au cours de la guerre. Les vingt-quatre plus hauts responsables nazis faits prisonniers étaient notamment accusés de crimes contre l’humanité ; la plupart d’entre eux furent déclarés coupables. Mais au procès de Nuremberg, un homme manquait manifestement à l’appel.

Le SS-Obersturmbannführer (lieutenant-colonel) Adolf Eichmann avait joué un rôle important dans l’organisation de l’Holocauste. Il gérait la logistique du regroupement et de la déportation en masse des Juifs et autres groupes jugés indésirables vers les ghettos et les camps de concentration d’Europe orientale. Il avait été l’un des responsables du système destiné à acheminer hommes, femmes et enfants, jeunes et vieux, vers les camps de la mort. Mais après la guerre, muni de faux papiers, il avait réussi à fuir l’Allemagne et à rejoindre l’Argentine. Pendant quinze ans, il y vécut une vie banlieusarde relativement normale sous le nom de Ricardo Klement, jusqu’à son enlèvement par des agents israéliens en 1960 ; il fut alors jugé à Jérusalem.

La capture d’Eichmann raviva le débat sur les raisons pour lesquelles l’Holocauste avait pu se produire. Un génocide d’une telle ampleur, exécuté avec une telle efficacité, ne pouvait être seulement l’œuvre de quelques esprits pervers. L’ampleur des préparatifs, de l’organisation et de la logistique avait requis la participation de milliers, voire de millions de personnes. Il avait fallu que des soldats de tous niveaux commettent les crimes eux-mêmes et que des millions d’Allemands fassent mine de ne rien voir.

Certains ont cru qu’il y avait eu une intention collective, qu’une population entière avait abandonné toute humanité et toute moralité. D’autres étaient d’un avis différent. Après la guerre, beaucoup de Nazis et d’Allemands optèrent pour une défense moins spectaculaire. « Nous n’avions pas le choix, dirent-ils. Nous n’avons fait qu’obéir aux ordres. » Tel était le leitmotiv. Qu’ils aient été de hauts dignitaires tenus pour responsables de leur rôle ou des civils et des soldats ordinaires tentant de reconstruire un semblant de normalité après les bouleversements de la guerre, ils parvenaient à rationaliser leurs actes, se dégageant de leur responsabilité personnelle en renvoyant à celle de leurs supérieurs. C’était ce qu’ils diraient à leurs petitsenfants. « Nous n’avons fait qu’obéir aux ordres. »

Stanley Milgram, un psychologue de Yale, a voulu mieux comprendre. Étions-nous, nous les humains, à ce point pareils aux lemmings que si quelqu’un d’un rang supérieur au nôtre, quelqu’un en situation d’autorité, nous ordonnait de commettre un acte totalement contraire à notre code moral, à notre sens du bien et du mal, nous obéirions ? Assurément, c’est possible à faible échelle. Mais à un niveau aussi massif ?

En 1961, donc, quelques mois seulement après le début du procès Eichmann en Israël, Milgram imagina une expérience pour comprendre l’obéissance à l’autorité. Elle était relativement simple. Chaque observation ferait intervenir deux volontaires. L’un jouerait le rôle du professeur, l’autre celui de l’étudiant. Ce dernier était en réalité un autre chercheur participant à l’expérience. (Pour répartir les rôles, le vrai volontaire devait tirer d’un chapeau un morceau de papier indiquant s’il serait le professeur ou l’étudiant. En fait, les deux morceaux de papier pliés portaient le mot « professeur ». Mais il avait l’impression que le rôle lui était échu par hasard.)

Les volontaires jouant le rôle du professeur avaient été recrutés par petites annonces dans la presse. On leur disait qu’ils participaient à une enquête sur la mémoire et l’apprentissage et on les installait devant un pupitre comportant une série d’interrupteurs en leur expliquant qu’une série de questions allaient être posées à l’étudiant. Si ce dernier donnait la mauvaise réponse ou refusait de répondre, le professeur devait lui administrer une décharge électrique en manipulant un interrupteur électrique. En fait, les décharges électriques de l’expérience étaient limitées à de petits chocs de 15 volts administrés aux professeurs pour qu’ils se rendent compte de l’impression ressentie.

Le pupitre comportait trente interrupteurs étiquetés de 15 volts en 15 volts jusqu’à 450. Il était clair pour le professeur qu’ils correspondaient à des secousses de plus en plus fortes. Pour s’assurer que le professeur en comprenait les conséquences, des étiquettes avaient été placées au-dessus de certains interrupteurs. La rangée allant de 15 à 75 volts, par exemple, indiquait « secousse légère ». De 75 à 120, on lisait « secousse modérée ». La rangée allant de 135 à 180 volts disait « secousse forte », puis l’on passait aux secousses « très forte », « intense » et « d’une extrême intensité » avant d’arriver à « Danger : secousse sévère » au-dessus des interrupteurs de 375 à 420 volts. La dernière rangée, qui allait de 435 à 450 volts, était peinte en rouge et indiquait seulement : « XXX ». La signification des interrupteurs ne faisait aucun doute.

Cent soixante volontaires participèrent à l’expérience, répartis à égalité entre quatre groupes, avec des variantes. Dans le premier groupe le chercheur qui jouait l’étudiant était assis juste à côté du professeur ; celui-ci devait placer lui-même la main de son voisin sur une plaque électrifiée. Dans le deuxième groupe, le professeur se trouvait dans la même pièce que l’étudiant et pouvait voir et entendre ses réactions aux secousses administrées. L’effet produit par chaque décision successive d’abaisser un interrupteur n’était pas ambigu.

Dans le troisième cas, l’étudiant était enfermé dans une pièce distincte. Le professeur ne pouvait voir les effets des décharges mais entendait clairement les protestations et les cris de l’étudiant à travers la cloison. Dans ces trois variantes, le professeur entendait le soi-disant étudiant se plaindre au début, puis réclamer à grands cris l’arrêt de l’expérience : « Stop ! Ça fait mal ! » Dans la dernière variante, en revanche, l’étudiant se trouvait dans une pièce à part et, sauf à cogner contre les murs, le professeur ne pouvait ni voir ni entendre ses réactions.

Comme prévu, tous les volontaires manifestèrent des réticences. Quand ils réalisaient ou croyaient réaliser qu’ils causaient une douleur à l’étudiant, ils se tournaient vers le chercheur en blouse blanche debout à côté d’eux, bloc-notes en main, et lui demandaient s’ils devaient poursuivre malgré la douleur qu’ils infligeaient sciemment. La première fois que le volontaire exprimait le désir d’interrompre l’expérience ou de s’en retirer, le scientifique disait : « Continuez s’il vous plaît. » Si le volontaire réitérait sa demande, il lui répondait : « Il est indispensable pour l’expérience que vous continuiez. »

Au fur et à mesure qu’ils passaient d’un interrupteur à l’autre, certains des volontaires commençaient à se montrer mal à l’aise. Très mal à l’aise. Ils se mettaient à transpirer et à trembler. Bien qu’extrêmement perturbés, la plupart d’entre eux persévéraient. À la troisième demande d’arrêter l’expérience, le chercheur répondait froidement : « Il est absolument essentiel que vous continuiez. » Et à la quatrième : « Vous n’avez pas le choix, vous devez continuer. » Toute autre protestation entraînait l’arrêt immédiat de l’expérience.

Quelle douleur auriez-vous pu causer à autrui avant de vous arrêter ? Jusqu’où pensez-vous que vous seriez allé ? Pas très loin, répondraient la plupart d’entre nous, convaincus qu’ils auraient renoncé bien avant d’avoir l’impression de faire courir un vrai risque à quelqu’un. Et c’est ce que les chercheurs avaient prévu. Avant l’expérience, ils estimaient que seulement 2 à 3 % des gens iraient jusqu’au bout, et que ces personnes montreraient des tendances psychopathologiques. Mais les résultats réels furent consternants.

Quand les volontaires devaient placer la main de l’étudiant sur la plaque électrique, 70 % abandonnaient avant d’aller très loin. Quand ils se trouvaient dans la même pièce mais sans contact physique avec l’étudiant, la proportion s’élevait légèrement : 60 % refusaient de continuer. Mais quand ils ne pouvaient voir ni les souffrances de l’étudiant ni entendre ses cris, seuls 35 % refusaient de continuer. C’est-à-dire que 65 % des volontaires purent aller au bout de l’expérience, jusqu’au dernier interrupteur, acceptant ainsi de tuer quelqu’un.

Il a été reproché à cette expérience d’être contraire à l’éthique. Cela se comprend. Près de 80 % des gens qui s’étaient levés ce jour-là avec le sentiment d’être de bonnes personnes étaient rentrés chez eux le soir en sachant qu’ils étaient capables de tuer quelqu’un. Malgré leurs réticences, malgré leur agitation, malgré leur sentiment de faire quelque chose de potentiellement dangereux, très dangereux même, la majorité d’entre eux étaient allés jusqu’au bout.

Au terme de l’expérience, convaincus que l’étudiant avait pu être blessé ou pire, les cobayes s’inquiétaient néanmoins de leur culpabilité, en s’attachant à rejeter toute responsabilité. Aucun d’eux, pas un seul, ne s’inquiéta du sort de l’étudiant. Aucun ne demanda à jeter un coup d’œil dans l’autre pièce. Leur propre sort les inquiétait davantage.

À la fin, les volontaires étaient débriefés. Ils découvraient que l’étudiant était en fait un chercheur, qu’il se portait bien et n’avait pas été blessé. On leur assurait qu’aucun choc électrique n’avait été administré, aucune douleur infligée à aucun moment. Certains de ceux qui avaient obéi et étaient allés jusqu’au bout éprouvèrent alors des remords. Il leur vint un sentiment de responsabilité personnelle. D’autres, au contraire se justifièrent en critiquant les scientifiques. Toute conséquence éventuelle n’aurait pu être reprochée qu’aux responsables et pas à eux, qui n’avaient fait que ce qu’on leur disait de faire. Certains allèrent jusqu’à incriminer l’étudiant. « Il était si stupide et borné qu’il méritait une secousse », avança un volontaire, tentant de se réconcilier avec ses actes.

Fait intéressant, presque tous les volontaires qui refusèrent de continuer l’expérience après avoir compris qu’ils infligeaient une douleur à quelqu’un d’autre se sentaient comptables envers un impératif moral supérieur. Certains seulement étaient croyants, mais tous se sentaient responsables envers une autorité plus élevée que les chercheurs présents.

En vérité, l’expérience de Milgram est renouvelée tous les jours dans des bureaux du monde entier. Le cycle d’abstraction endémique à notre type de capitalisme apparaît clairement quand on considère plus largement les conclusions de Milgram. L’abstraction ne se borne plus à l’espace physique : elle inclut aussi les chiffres, qui créent de l’abstraction. Plus nos entreprises grandissent, plus la distance physique s’accroît entre nous et les gens qui travaillent pour nous ou qui achètent nos produits. À un tel niveau, il ne devient plus possible de compter les boîtes de conserve sur les étagères en parcourant les rayonnages. Nous nous en remettons à présent à des documents qui indiquent combien il s’en est vendu et ce que cela nous a rapporté. Quand l’abstraction numérique nous fait divorcer de l’humanité, nous devenons capables de comportements inhumains comme les volontaires de Milgram. Tout comme les conditions fixées par ce dernier lors de son expérience, la séparation matérielle entre nous-mêmes et ceux qui subissent les effets de nos décisions risque d’avoir un effet dramatique sur des vies… les vies de personnes que nous ne pouvons ni voir ni entendre. Plus les gens deviennent abstraits, plus nous sommes capables de leur faire du mal.

 

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