Partie II – Des forces puissantes
Chapitre 5 – Au temps où assez était suffisant
Dire qu’il s’agissait d’un quartier difficile serait un euphémisme. On n’imaginerait guère pire lieu de vie. On y courait des dangers incroyables. Il n’était pas question de chauffage en hiver et encore moins d’air conditionné en été. On n’y trouvait pas le moindre supermarché : aux habitants de trouver leur nourriture par la chasse ou la cueillette. Survivre dans ces conditions exigeait l’attention de chaque instant. Quelque chose de fatal pouvait survenir à tout moment de la journée. L’éducation et la recherche d’emploi étaient inconnus. Il n’y avait ni écoles ni hôpitaux. Dans les conditions actuelles il n’y avait pas d’emploi salarié à espérer. Aucun. D’ailleurs, il n’y avait pas d’entreprises. Et pas non plus de pays. Tout cela viendrait dans un avenir si lointain qu’il était inutile d’y songer. Ce scénario n’est pas celui d’un film post-catastrophe du genre Mad Max. C’est la vie d’il y a cinquante mille ans, au moment où l’homme moderne, Homo sapiens, faisait ses premiers pas dans le monde. C’est de là que nous venons.
Nos ancêtres sont nés dans une pauvreté abjecte. Leurs opportunités ne venaient pas des écoles qu’ils avaient fréquentées ou des relations de leurs parents. Elles résultaient uniquement de leur volonté et de leur ardeur au travail. Et ils n’en manquaient pas. Notre espèce est faite pour se débrouiller en situation de grand danger et de pénurie.
La vie de l’ère paléolithique n’était pas comparable à un lendemain d’ouragan. Elle était faite de rareté, non de destruction. Nos ancêtres n’obéissaient pas aux stéréotypes des hommes des cavernes que nous nous plaisons à imaginer. Ils n’avaient pas d’énormes arcades sourcilières, ils ne se déhanchaient pas en brandissant un gourdin. Ils nous ressemblaient beaucoup et ils étaient aussi intelligents et capables que nous. Il ne leur manquait que les progrès et les avantages de notre monde moderne. À part cela, ils étaient exactement comme vous et moi.
Presque toutes les caractéristiques de l’homme sont destinées à l’aider à survivre et à perpétuer l’espèce en des temps difficiles – très difficiles. Notre physiologie et notre besoin de coopérer ont pour raison d’être les exigences de notre survie. Nous donnons le meilleur de nous-mêmes quand nous faisons face au danger ensemble. Hélas, trop nombreux sont les chefs d’entreprise qui croient, face aux défis externes, que la meilleure manière de motiver leur personnel est de créer un sentiment d’urgence ou de contrainte interne. La biologie et l’anthropologie nous disent pourtant que rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité.
Quand nous avons le sentiment d’appartenir à un groupe et de faire confiance aux gens avec qui nous travaillons, nous coopérons naturellement pour affronter les difficultés et les menaces extérieures. Quand nous n’éprouvons pas de sentiment d’appartenance, en revanche, il nous faut investir du temps et de l’énergie pour nous protéger les uns des autres. Et ce faisant, nous nous rendons involontairement plus vulnérables envers ces défis et ces dangers extérieurs. De plus, si notre attention est tournée vers l’intérieur, nous risquons aussi de passer à côté d’opportunités extérieures. Quand nous nous sentons en sécurité parmi les gens avec qui nous travaillons, nous avons plus de chances de survivre et de prospérer. C’est ainsi.
Au commencement…
Il y a chez l’Homo sapiens des éléments qui nous rendent bien adaptés pour survivre et prospérer dans les conditions austères de notre naissance, mieux outillés même que certaines autres espèces d’hominidés plus grandes et plus fortes. Notre avantage vient pour partie de notre néocortex – la partie complexe de notre cerveau, qui nous sert à résoudre des problèmes. Le néocortex nous autorise aussi une communication perfectionnée. À la différence des autres animaux capables de communiquer, nous possédons une syntaxe et une grammaire. Mais une autre raison essentielle de notre survie est notre aptitude remarquable à coopérer. Nous sommes une espèce extrêmement sociale dont la survie et la prospérité reposent sur l’entraide.
Notre aptitude à travailler ensemble, à nous aider et à nous protéger les uns les autres a si bien fonctionné, en fait, que nos populations ont fait mieux que survivre : elles ont prospéré. Les éléphants ont survécu, eux aussi, mais la vie d’un éléphant d’aujourd’hui est largement identique à celle d’il y a des millions d’années. Ce n’est pas notre cas : notre vie est totalement différente de celle d’il y a cinquante mille ans. Notre espèce, façonnée en fonction de l’environnement d’alors, a si bien su travailler ensemble et résoudre des problèmes qu’elle a trouvé comment transformer son environnement pour qu’il lui convienne. Plus nous avons réussi, plus nous avons pu modifier nos conditions de vie pour les adapter à nos besoins au lieu de subir des changements imposés par nos conditions de vie. Le problème est que notre code génétique élémentaire demeure le même. Nous sommes des gens à l’ancienne, qui vivons dans un monde moderne, plein de ressources. Ce qui comporte des avantages évidents, mais qui, comme tout, a un coût.
Tout est affaire de groupe
Du temps où nous vivions dans des communautés qui ne dépassaient pas les cent cinquante individus, nous connaissions tout le monde et nous étions certains que chacun savait qu’il était de son intérêt d’aider le groupe. Les hommes allaient à la chasse ensemble et la communauté entière contribuait à l’éducation des jeunes, prenait soin des vieux et des malades et assurait une protection mutuelle.
Il y avait des conflits, bien sûr, comme dans n’importe quel groupe. Mais quand il le fallait, nous mettions nos différends de côté pour agir ensemble. Nous en faisons autant avec nos frères et sœurs : même si nous nous disputons avec eux, nous viendrions à leur secours s’ils étaient menacés par quelqu’un d’autre. Nous protégeons toujours les nôtres. Ne pas le faire irait contre ce que signifie être humain et réduirait en fin de compte l’aptitude du groupe à survivre et prospérer. C’est pour cela, entre autres, que la trahison est punissable de la même manière que le meurtre. La confiance est si importante pour notre survie que nous, humains, la prenons vraiment au sérieux. Notre réussite en est témoin : la coopération et l’entraide fonctionnent mieux que la compétition et l’individualisme à tout crin. À quoi bon ajouter un degré supplémentaire de difficulté en nous battant les uns contre les autres quand nous sommes déjà contraints de nous battre contre la dureté de la nature, les pénuries et autres menaces extérieures ?
Cette vie coopérative communautaire régnait depuis les forêts vierges de l’Amazonie jusqu’aux grandes plaines d’Afrique. Autrement dit, ce n’était pas l’environnement physique qui déterminait notre meilleure chance de survie et de succès – c’était la biologie même de notre espèce, la conception même de l’être humain. La manière dont nous avons évolué – vers l’entraide mutuelle – a fonctionné indépendamment de notre lieu d’origine ou des difficultés particulières que nous pouvions rencontrer. Tout être humain sur la planète, quelle que soit sa culture, est naturellement enclin à coopérer.
Cette coopération n’était sans doute pas si ardue. Nous sommes des animaux sociaux, et la socialité était aussi importante pour nous il y a des milliers d’années qu’aujourd’hui. Elle était essentielle pour bâtir et maintenir la confiance, et le moyen par lequel nous apprenions à nous connaître mutuellement. Le temps passé à connaître les autres quand on n’est pas au travail contribue à la formation des liens de confiance. C’est exactement pour cela qu’il est fondamental de prendre des repas en commun et de faire des choses en famille. Tout aussi importants sont les congrès, les pique-niques d’entreprise et le temps passé autour de la machine à café. Plus nous nous familiarisons les uns avec les autres, plus nos liens sont forts. Les contacts sociaux sont également essentiels pour les dirigeants des organisations. Parcourir les couloirs des bureaux et rencontrer les gens avant les réunions a vraiment son utilité.
Le système moderne qui rappelle le plus nos communautés ancestrales est peut-être la résidence universitaire. Même lorsque les étudiants y ont leur propre chambre (ce qui n’est pas toujours le cas), les portes restent ouvertes et ils bavardent dans les couloirs. Ceux-ci deviennent le centre de la vie sociale tandis que les chambres sont réservées au travail personnel et au sommeil (et encore, pas toujours). Les liens d’amitié qui se forment dans ces résidences sont essentiels. C’est là, et pas dans les amphis, que naissent souvent les plus étroites amitiés estudiantines.
Notre succès en tant qu’espèce n’est pas dû à la chance : nous l’avons mérité. Nous avons travaillé dur pour arriver où nous en sommes aujourd’hui et nous l’avons fait ensemble. Nous sommes construits pour œuvrer ensemble. Nous sommes, à un niveau biologique et profondément enraciné, des mécaniques sociales. Et quand nous nous entraidons, notre corps nous récompense de nos efforts afin que nous les poursuivions.
Notre dépendance chimique
À force d’essais et d’erreurs au cours de notre évolution, presque tous les détails de notre physiologie ont leur raison d’être. Si Mère Nature nous a dotés de papilles gustatives très sensibles, ce n’est pas simplement pour que nous puissions déguster un grand cru du vignoble Staglin ou savourer jusqu’à la dernière bouchée un pork bun du Momofuku Ssäm Bar. Nos papilles disent à notre système digestif quels enzymes relâcher pour accueillir au mieux la nourriture qui va arriver, tout comme notre sens de l’odorat nous aide à détecter si un aliment est avarié. De même, nos sourcils ont été façonnés pour que la sueur ne s’écoule pas dans nos yeux quand poursuivions une proie – ou quand nous fuyions devant un prédateur. Tout dans notre corps a été conçu dans un seul but : nous aider à survivre. Et cela inclut nos sentiments de bonheur.
N’importe quel parent, enseignant ou manager le sait : il est possible d’obtenir un comportement désiré moyennant la promesse d’une récompense – bonbon, prix d’excellence ou prime de résultats – ou la menace d’une punition. Sous ces pressions, nous concentrons notre attention sur les tâches nécessaires aux résultats qui nous vaudront une récompense. Les enfants ne se rendent pas compte que leur comportement est conditionné, mais les adultes savent bien pourquoi leur entreprise propose un intéressement. Nous savons que pour obtenir une prime, il faut produire les résultats qu’elle désire. Et, dans l’ensemble, cela fonctionne. Cela fonctionne vraiment bien, en fait.
Mais, bien avant notre patron, Mère Nature avait imaginé de nous conditionner grâce à un système d’incitation afin que nous accomplissions certains actes en vue d’un résultat. Dans le cas de notre biologie, notre corps emploie un système de sentiments positifs et négatifs – bonheur, fierté, joie, anxiété, par exemple – pour nous inciter à des comportements nous rendant plus aptes à accomplir un travail et à coopérer. Tandis que notre patron nous récompensera peut-être par une prime annuelle, notre corps, lui, en guise de récompense pour avoir pris soin de nous-mêmes et de ceux qui nous entourent, nous dispense des substances chimiques qui nous procurent de bonnes sensations. Et aujourd’hui encore, après des milliers d’années, nous sommes tous complètement et absolument chimico-dépendants.
Quatre substances chimiques primaires présentes dans notre corps contribuent à tous nos sentiments positifs. Je les qualifierai génériquement de molécules « du bonheur » : endorphines, dopamine, sérotonine et ocytocine. Qu’elles agissent seules ou de concert, en petite dose ou en grande quantité, chaque fois que nous éprouvons un sentiment de joie ou de bonheur, il y a de fortes chances pour que ce soit parce que l’une d’elles au moins court dans nos veines. Elles ne servent pas simplement à nous mettre à l’aise. Elles sont au service d’une intention très réelle et pratique : notre survie.
Le paradoxe de la nature humaine
À tout moment, l’être humain existe à la fois en tant qu’individu et en tant que membre d’un groupe. Je suis un et je suis un parmi bien d’autres… en permanence. Ce qui ne va pas sans conflits d’intérêt. Quand nous prenons des décisions, nous devons comparer ce qu’elles nous rapportent personnellement par rapport à ce qu’elles rapportent à notre tribu ou notre collectivité. Souvent, ce qui est bon pour l’un n’est pas nécessairement bon pour l’autre. Agir exclusivement en notre faveur peut nuire au groupe, tandis qu’agir exclusivement en faveur du groupe peut avoir un coût pour nous en tant qu’individu.
Cette tension pèse souvent sur notre conscience au moment de prendre une décision. Qui doit passer en premier, le groupe ou l’individu ? J’aime le paradoxe de ce débat. Selon certains, il faudrait toujours faire passer les autres d’abord, car si nous ne soucions pas du groupe, celui-ci ne se souciera pas de nous. Selon d’autres, nous devrions toujours penser à nous en premier, car si nous ne prenons pas soin d’abord de nous-mêmes, nous ne serons utiles à personne. De fait, les deux sont vrais.
Ce conflit d’intérêt apparent existe même dans notre biologie. Des quatre principaux stimulants chimiques de notre organisme, deux sont apparus principalement pour nous aider à trouver de la nourriture et à réaliser des choses tandis que les deux autres nous aident à entretenir des relations sociales et à coopérer. Les deux premières substances, endorphines et dopamine, font en sorte de nous guider en tant qu’individus – en nous incitant à persévérer, à trouver de la nourriture, à bâtir des abris, à inventer des outils, à aller de l’avant et à accomplir des tâches. Je les appelle volontiers substances « égoïstes ». Les deux autres, sérotonine et ocytocine, nous incitent à travailler ensemble et à développer des sentiments de confiance et de loyauté. J’aime à parler de substances « altruistes ». Elles nous aident à renforcer nos liens sociaux de manière à avoir plus de chances d’agir ensemble et de coopérer, afin de pouvoir, en fin de compte, survivre et faire en sorte que notre progéniture nous survive.
Imagine un monde où la confiance règne, où chaque individu sait qu’il peut compter sur les autres, où la coopération n’est pas un vain mot mais une réalité palpable. C’est ce que ce livre nous invite à découvrir.
Dans un récit captivant, l’auteur nous plonge d’abord dans une nuit de combat en Afghanistan, où un pilote, Johnny Bravo, met sa vie en jeu pour protéger des soldats au sol. Pourquoi agit-il ainsi, sans y être obligé ? Parce qu’il sait qu’ils auraient fait la même chose pour lui. Ce sens du devoir, ancré dans l’empathie et le leadership, est au cœur de toute organisation qui fonctionne véritablement.
Puis, nous voici plongés dans l’univers d’une entreprise où les employés sont traités comme des numéros. Jusqu’au jour où un leader visionnaire, Bob Chapman, décide de tout changer. Plus de pointeuses, plus de barrières entre ouvriers et cadres, plus de méfiance. Résultat ? Une transformation spectaculaire où l’humain prend enfin la place qu’il mérite.
Le message est clair : nous sommes biologiquement programmés pour fonctionner en tribu, protégés par un Cercle de sûreté. Lorsque ce cercle existe, les salariés donnent le meilleur d’eux-mêmes, sans stress destructeur ni rivalité toxique. Les organisations qui l’ont compris prospèrent, tandis que les autres s’épuisent dans la peur et le contrôle.
Nous croyons parfois que la sécurité financière est plus importante que le bonheur au travail. Or, les études prouvent que le stress d’un mauvais emploi est plus nocif que le chômage. Être ignoré par son manager tue la motivation, alors qu’un simple mot d’encouragement peut tout changer.
L’auteur ne prône pas un idéalisme naïf : il s’appuie sur des faits, des chiffres et des exemples concrets. Il nous montre que les entreprises les plus performantes ne sont pas celles qui pressent leurs employés, mais celles qui les protègent. Que les grandes réussites ne viennent pas de la compétition acharnée, mais de la coopération et de la confiance mutuelle.
Dans un style fluide et percutant, ce livre bouleverse nos certitudes et nous pousse à voir le travail autrement. Que tu sois dirigeant, manager ou simple salarié, tu en ressortiras transformé. Prêt à bâtir une culture d’entreprise plus humaine, plus forte, et surtout plus pérenne. Car au final, nous ne travaillons pas pour une entreprise, mais pour les gens qui nous entourent.
Tu trouveras ce livre sur le site Place des Libraires en identifiant une librairie près de chez toi, ou sur le site de la FNAC.